Il faut relire souvent
les pages d’A la recherche du temps perdu
dans lesquelles Proust relate l’expérience de la mémoire vécue par son
narrateur au moment où celui-ci, mettant en bouche un morceau de madeleine
trempé dans du thé, est envahi d’un plaisir dont il cherche l’origine. En vain,
d’abord, jusqu’à ce qu’il le rapproche d’un souvenir précis. D’où cette
explication : « quand d’un
passé ancien rien ne subsiste […], l’odeur et la saveur restent encore
longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine
de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque
impalpable, l’édifice immense du souvenir. »
Philippe Claudel n’est
pas Marcel Proust mais les odeurs le guident dans Parfums, avec les saveurs en prime, parfois. Le découpage est
comparable à celui de François Bon dans Proust est une fiction qui paraissait presque en même temps (va-et-vient constant entre les lectures), une soixantaine d’entrées, et
l’organisation est bien visible, l’ordre alphabétique, ce qui permet bien sûr
de n’en faire qu’à sa guise.
L’auteur ne s’en prive
pas, d’« acacia » à « voyage ».
Le premier évoque d’abord
une couleur et glisse à bicyclette vers les copains d’autrefois en fermant les
yeux pour retrouver, nous y sommes, le « parfum
des pétales » aussitôt associé à la « joie fébrile que chaque printemps apporte de nouveau. »
Le dernier passe par Baudelaire et une multitude de villes où l’on respire « l’haleine des pays nouveaux »
en général ou, en particulier, les « blonds
entassements capiteux » du marché de Diyarbakir pour se focaliser sur
deux lieux auxquels l’auteur, où qu’il soit, fait ses premières visites :
l’église, en pays chrétien, où il retrouve « partout
la même odeur de pierre froide, de cire, de myrrhe et d’encens », et
le marché, où il sent « l’âme d’une
terre et la peau des hommes, le fruit de leur travail dans un étourdissant
mélange d’odeurs effroyables et délicieuses, de graisse crue ou grillée, de
citronnelle, de coriandre coupée grossièrement aux ciseaux, de fiente d’oiseaux
captifs », etc.
Variations de fragrances jetées en travers du
chemin pour recouper les méandres de la mémoire, ou catalogues de parfums
jusqu’à l’épuisement et la diminution du sens olfactif ? Le livre hésite
entre les deux si bien qu’il perd un peu de la consistance qu’on lui trouve de
temps à autre et qui aurait été bienvenue dans toute sa longueur. Philippe
Claudel s’est, sans nul doute, fait plaisir. Au risque d’oublier son lecteur en
route quand il néglige de lui ouvrir la porte de plaisirs très personnels.
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