Sous un titre
minimaliste, « Oh... », Philippe Djian amorce une véritable bombe. Michèle s’est éraflé la
joue. Pas de quoi, a priori, perturber une femme de pouvoir qui a monté
vingt-cinq ans plus tôt, avec Anne, sa meilleure amie, AV Productions. La boîte
déniche des scénarios et les accompagne jusqu’à l’écran. Quelques idées ont
même été vendues aux Américains. Une réussite. Légèrement entachée, il est
vrai, par le fait que Michèle couche en secret avec le mari d’Anna, éprouvant
le poids de sa trahison. Et que Richard, l’ex-mari de Michèle, ne cesse de lui
soumettre des scénarios qu’il annonce géniaux et qu’elle juge médiocres.
Ajoutons que les histoires de famille ne sont pas simples, ce qui commence
quand même à dessiner pas mal de complications dans sa vie. Et revenons à cette
éraflure.
Car elle n’est pas aussi
anodine qu’il y paraît : elle est la conséquence d’un viol commis avec une
grande brutalité par un inconnu masqué qui s’est introduit chez elle. Le
quartier est moins sûr que ne le laisse paraître la prévenance d’un voisin prêt
à rendre tous les services et par qui Michèle est attirée. Le jour où elle
comprend que le gentil voisin et le méchant violeur ne font qu’un est
évidemment assez perturbant. Mais Michèle, qui n’en est pas à une contradiction
près, parvient à faire le lien entre les deux aspects de l’homme et à
poursuivre avec lui une relation basée sur la violence. Elle se dira plus tard,
après qu’un drame supplémentaire aura conclu leur histoire : « Avec le recul, je ne comprends pas
très bien comment j'ai pu accepter de jouer à cet abominable jeu – à moins que
le sexe n'explique tout mais je n'en suis pas vraiment sûre. Au fond, je ne
pensais pas être une personne si étrange, si compliquée, à la fois si forte et si
faible. »
Une bombe, disions-nous.
Il ne suffit pas que Philippe Djian ait pour la première fois choisi une femme
comme narratrice, il a fallu qu’il la rende amoureuse de son violeur ! A
moins qu’elle se soit placée, comme la réflexion que nous venons de citer le
laisse entendre, dans une situation de dépendance engendrée par ses problèmes
personnels et son désarroi affectif. Toujours est-il que l’écrivain n’a pas
choisi un point de vue confortable et consensuel. Sans pour autant, faut-il le
dire, tomber dans une caricature qui banaliserait le viol. On en est si loin
que Martine est, malgré tout ce qui semble prouver le contraire, profondément
traumatisée par ce qui lui est arrivé. Et davantage encore par la suite.
Mais Philippe Djian, même s’il peut se lire d’un
point de vue idéologique (le lecteur a tous les droits), ne passe pas ses
romans à construire des thèses, antithèses et conclusions. Il aime surtout
faire des nœuds dans le cœur de ses personnages, quitte à les trancher ensuite
grâce à l’efficacité d’une langue râpeuse, parfois hardie dans sa crudité,
toujours en prise.
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