samedi 1 février 2014

Irvin Yalom, le psychothérapeute, et Spinoza, le philosophe

Dans un ouvrage précédent, Irvin Yalom utilisait son expérience de psychothérapeute à travers les portraits de six femmes qu’il a connues. La malédiction du chat hongrois semble n’avoir aucun rapport avec Le problème Spinoza, traduit en 2012, où l’écrivain s’affiche du côté d’une fiction nourrie de réflexion, avec la rencontre par-delà les siècles de deux personnages historiques : Spinoza, le philosophe du 17e siècle, et Alfred Rosenberg, un des principaux idéologues du nazisme. Même si l’écrivain l’explique en fin de volume, il était tentant de lui faire raconter comment lui est venue l’idée de cette étrange juxtaposition.
Il y a longtemps que je m’intéresse à Spinoza, mais je ne trouvais pas d’histoire à raconter. Sa vie est celle d’un homme invisible. Un jour, j’ai fait une conférence à Amsterdam et, à cette occasion, j’ai visité le musée Spinoza de Rijnsburg, une petite ville à trois quarts d’heure de voiture d’Amsterdam. Les livres qui y sont conservés ne sont pas ceux qu’il avait eus entre les mains, car ils avaient été vendus. Mais la bibliothèque avait été reconstituée à la fin du 19e siècle. Et, quand les nazis sont venus aux Pays-Bas en 1940, ils se sont emparés de ces livres-là, qui ont passé la guerre dans une mine de sel avant d’être retrouvés.
C’est ainsi que vous avez rencontré le personnage d’Alfred Rosenberg ?
Je le connaissais de nom mais j’ai découvert qu’il avait été chargé de la confiscation des biens juifs, et en particulier de la bibliothèque de Spinoza. Un officier qui était sous ses ordres a écrit dans son rapport, à propos de la bibliothèque : « Elle comporte des ouvrages anciens d’une grande importance pour l’examen du problème Spinoza. » J’ai donc imaginé ce que pouvait être ce problème Spinoza.
Peut-on dire que Spinoza est un homme mentalement libre et Rosenberg, tout le contraire ?
Oui, tout à fait. Spinoza était un homme qui croyait à la puissance de la raison, et qui n’acceptait aucune autorité extérieure, au contraire de Rosenberg.
D’où, pour Spinoza, non pas « le » problème, mais « les problèmes », notamment par rapport à sa communauté, dont vous avez dû imaginer une partie ?
Oui, il fallait imaginer sa vie. Il n’y a même pas de portrait de lui. Mais je me le représente comme sur la couverture du livre [l’édition de poche a une couverture différente], d’après un portrait postérieur à sa mort. Et aussi selon ce qu’on a dit de lui : qu’il était mince, qu’il avait des traits délicats, etc. Il n’avait pas une très bonne santé, il avait des problèmes pulmonaires. Peut-être en partie à cause de son travail de polissage du verre, mais il avait probablement déjà la tuberculose auparavant.
Face à Rosenberg, il y a un personnage de psychiatre. Qui est l’équivalent face à Spinoza ?
C’est Franco. Il agit à la manière d’un psychiatre avant l’invention de la psychiatrie et de la psychanalyse. Il aide Spinoza à se comprendre lui-même. J’ai imaginé ce personnage pour montrer les liens de Spinoza avec son passé, avec son milieu qui l’a rejeté.
Quand Spinoza est poignardé, il souffre moins de la blessure que d’avoir été attaqué par un Juif. C’est une clé ?
Exactement. Et Franco l’aide aussi à comprendre cela. Il agit en thérapeute en dévoilant les choses à la personne qui les a vécues. Il montre le chemin vers l’inconscient, à une époque où on ne connaissait pas l’inconscient.
Qu’est-ce que ce roman a de différent par rapport aux précédents ?
Il est plus complexe du point de vue historique. J’ai dû faire des recherches dans deux époques différentes. Mais, comme chaque fois, j’essaie d’enseigner quelque chose sur la psychothérapie aux jeunes psychothérapeutes.

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