Entre 1907 et 1909,
pendant que se déroule le roman de Michiel Heyns, Henry James prépare l’édition
américaine de ses œuvres complètes qui doit, pense-t-il, lui apporter gloire et
fortune. Il sera loin du compte mais peu importe. Dans cette période de travail
intense, l’écrivain ne se contente pas de corriger ses livres. Il leur ajoute
aussi des préfaces destinées à éclairer le lecteur sur les intentions placées
dans tel ou tel texte. Si bien que sa production d’alors est le socle théorique
à travers lequel on peut le lire – un socle paradoxalement glissé a posteriori
sous la construction…
Pendant ces presque deux
années, Frieda Wroth (qui s’appelait en réalité Theodora Bosanquet) est la
proche collaboratrice du maître. Elle est La dactylographe de M. James et son point de vue sur les événements sera le
nôtre. Le lecteur est placé quelques marches sous le génie, contraint de le
considérer de près mais en contre-plongée, ce qui en accroît la grandeur tout
en montrant des détails moins glorieux. Frieda ne comprend pas, par exemple,
comment cet homme acharné à terminer l’œuvre qu’il dicte se laisse convaincre
par son frère William d’assister aux conférences que celui-ci donne à Oxford.
Et moins encore comment il accepte d’être envahi par les visites de l’encombrante
Edith Wharton – « Elle l’avait vue
plusieurs fois, triomphale occupante de Rye – klaxonnant dans sa grande
automobile, faisant cliqueter ses bijoux, riant sans modération, traînant Mr
James autour du jardin comme un vieux chien qui a besoin d’exercice, donnant
ses instructions à Mrs Paddington pour les repas, et même disant à Frieda
quelle sorte de ruban acheter pour la Remington ».
Frieda ne se contente pas
d’observer avec son œil vif, ni de précéder parfois, en esprit, les mots de
Henry James lors de la dictée. Elle vit, aussi, et non sans ambitions. Elle est
séduite par un jeune ami de l’écrivain, Morton Fullerton (il deviendra l’amant
d’Edith Wharton), qui la manipule pour récupérer, dans les papiers de son
employeur, des lettres compromettantes. Elle s’intéresse à la transmission de
pensée, très en vogue à l’époque, pour laquelle elle manifeste des dons
singuliers, les doigts courant alors d’eux-mêmes sur la machine afin d’établir
un dialogue avec la personne absente…
Surtout, Frieda aimerait publier elle aussi des
livres. Son imagination lui fournit une abondante matière romanesque, sortie de
la plume habile de Michiel Heyns. L’écrivain sud-africain, probablement aidé
par des études faites en partie à Cambridge, a parfaitement assimilé le
contexte britannique dans lequel vivait Henry James, lui-même venu d’ailleurs
puisque, faut-il le rappeler, il était américain. La dactylographe de M. James est un livre d’une grande intelligence
à travers lequel se transmet la vibration continue qui anime un artiste au
travail, vibration partagée par une dactylographe. Encore ne pense-t-on plus un
instant, après avoir lu le roman, à définir Frieda par sa fonction.
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