lundi 14 octobre 2013

Paroles et musique de Jean Rouaud

Jean Rouaud a entrepris de raconter La vie poétique. Sa vie, en somme, dont le premier volet s’intitulait Comment gagner sa vie honnêtement. Pour suivre, Une façon de chanter prolonge une autobiographie éclatée dont les thèmes courent au fil de souvenirs parfois réinventés.
Puisque l’écrivain fournit une clé de lecture dans le titre, suivons-le sur le chemin musical qu’il emprunte souvent. Longtemps, dans sa province rigide où la nouveauté, observée avec une méfiance paysanne, arrivait avec retard, il a dû se contenter d’une bande son « rudimentaire : le clocher de l’église, sonnant tous les quarts d’heure, et dont le carillon variant selon les événements faisant office de télégraphe […], le cling cling sonore du marteau du maréchal-ferrant aplatissant sur l’enclume un fer à cheval rougeoyant »… Avec, pour seules chansons, celles d’une autre génération. « Et pendant ce temps Elvis Presley se déhanchait sur Jailhouse Rock. »
Puis vint la guitare, instrument de la modernité rattrapée, quand il fallait faire un choix entre les Beatles et les Rolling Stones, avec quelques vagues accords plaqués sur des paroles qui feraient de lui un chanteur à la mode. Puisqu’il suffisait de quelques mots fredonnés au moment adéquat pour éprouver « un sentiment d’allégresse ». Des airs composés, il n’a rien retenu, ni des paroles d’ailleurs. Il ne connaissait pas l’écriture musicale et n’acceptera de le reconnaître comme une lacune que beaucoup plus tard, quand il prendra des leçons de piano.
S’il n’est pas devenu interprète, la musique a pourtant continué de l’émouvoir, capable de déclencher chez lui une émotion traduite par des torrents de larmes. Mais pas Brassens, « poète en second », chez qui il voit « un amalgame douteux, quand il s’avisa de renvoyer dos à dos résistants et collaborateurs. » Car Jean Rouaud, au détour de la poésie qui imbibe chacun de ses livres, est capable de flinguer. Céline, par exemple, dont toute l’œuvre est pour lui d’un seul bloc. Ou Jean Cocteau, à travers ses « mots sentencieux et idiots, qui derrière leur prétention au sens caché ne veulent rien dire d’autre que la fatuité de leur auteur. »
Sur tout cela, Rouaud dessine des lignes de pluie, le « blason » qui inaugurait en dix pages son premier roman, Les champs d’honneur. La pluie si présente dans l’Ouest de son enfance, mais qu’il espérait surtout voir tomber à Paris, condition pour que la seule chaîne de télévision captée chez lui programme un film l’après-midi.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire