Peu avant le quarantième
anniversaire de l’indépendance de l’Inde, en 1987, Salman Rushdie était
retourné dans son pays d’origine pour travailler à un film. Dans le Kerala, il
avait vu un conteur qui ne respectait pas les règles habituelles du genre, commencer
au début de l’histoire et poursuivre jusqu’à la fin. Celui-là faisait tout de
travers et le public suivait malgré tout. L’écrivain a retenu la leçon. Joseph Anton, qui raconte les années où
Rushdie dut vivre caché parce qu’il avait été condamné à mort par l’ayatollah
Khomeiny, s’ouvre le jour où, le 14 février 1989, il apprend qu’une fatwa a été
prononcée contre lui. Et où tout bascule. La lumière, en ce beau mardi
ensoleillé, est engloutie d’un coup. Les années de formation, pourquoi il
s’est, après son père, intéressé à la religion sans être un homme religieux,
pourquoi son roman le plus célèbre, Les
Versets sataniques, est devenu la source de son malheur, cela viendra le
moment venu.
Cette autobiographie est
écrite à la troisième personne, parce que Salman Rushdie écrivain regarde vivre
un Salman Rushdie personnage – et vivant sous le pseudonyme de Joseph Anton –
nous raconte tout ce que nous avions espéré savoir de la manière dont cette
douzaine d’années ont été vécues par lui. Elle est aussi une formidable
réflexion, par-delà les nombreuses anecdotes, sur la liberté que donne la
littérature et les limites de cette liberté.
En constatant que son roman est devenu, aux yeux
d’une partie du monde, un blasphème et non plus l’œuvre qu’il avait créée en
artiste, Salman Rushdie mesure l’incompréhension dont il a eu à subir les
conséquences. S’il a gagné, ce n’est pas seulement parce qu’il est vivant.
C’est aussi parce que Joseph Anton
est un livre formidable, où l’humour marque des points contre l’intégrisme.
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