vendredi 14 mars 2014

A qui appartient la Pléiade ?

Chère cousine,

As-tu, comme moi et beaucoup d'autres, rêvé un jour de te constituer un mur de Pléiades? Avec leurs couleurs signalant les époques, leur papier bible que j'ai vu un jour dans les machines d'une imprimerie de Bruges, leurs dorures à l'or fin, leur appareil critique de plus en plus volumineux (c'est en partie une légende, car j'ai vu des volumes récents, les Jules Verne parus il y a environ deux ans, où les notes étaient réduites à leur plus simple expression), leur aspect cossu - et l'absence d'envie de les ouvrir puisqu'il suffirait de posséder la collection complète pour s'offrir la possibilité, la possibilité seulement, d'avoir sous la main le meilleur de la littérature de tous les temps? C'est beau, reposant, leur présence dans un intérieur en dit plus long sur leur propriétaire qu'une Rolex au poignet - mais n'apprend rien sur la manière dont il fréquente, ou non, les textes protégés par leur reliure.
Ce désir m'a quitté depuis longtemps (celui des Pléiades, puisque celui d'une Rolex ne m'a jamais contaminé). Pas l'admiration pour une collection dont je ne possède qu'un volume - le Journal de Jules Renard, dans une édition de 1960 achetée il y a quelques années, 30 euros, chez un bouquiniste parisien des quais de Seine. Je m'en suis servi, il y a quelques jours, pour y puiser quelques citations sur l'âge et la vieillesse (tu n'as pas à connaître les raisons de cette recherche). Mais l'honnêteté m'oblige à ajouter que, si j'ai en effet feuilleté l'exemplaire de la Pléiade, j'ai utilisé davantage une version numérique du même Journal. Le texte, après tout, compte davantage que son habit, même en cuir d'excellente qualité.
Reste donc cette admiration détachée de son objet, et je vois avec plaisir se compléter le mur virtuel des livres que je ne possède pas. Le mois dernier, les Œuvres de Philippe Jaccottet, hier le troisième tome des Œuvres romanesques complètes de Stendhal, le mois prochain les Œuvres complètes de Madame de Lafayette, puis en mai les tomes trois et quatre des Œuvres complètes de Marguerite Duras...
Tout cela a de l'allure, c'est le moins qu'on puisse en dire. Aussi l'information circulant depuis quelque temps déjà de la prochaine entrée de Jean d'Ormesson dans la prestigieuse Bibliothèque a-t-elle surpris. Que diable cet homme charmant, mais qui doit savoir, car il n'est pas idiot, combien la valeur de son oeuvre est relative, viendra-t-il faire dans un catalogue qui semble taillé à d'autres mesures que son habit d'académicien?
J'ai lu sur le sujet des commentaires réjouis et des réflexions acides. Les premiers et les secondes tout aussi justifiés. Mais tous se trompaient de sujet. La Bibliothèque de la Pléiade n'est pas, contrairement à ce qu'elle représente dans l'imaginaire collectif, un patrimoine immatériel de l'humanité. C'est une collection qu'il faut faire vivre et dont les responsables, Antoine Gallimard au premier chef, font ce qu'ils veulent, comme ils l'entendent et selon les orientations qui leur semblent les meilleures au moment particulier des prises de décision.
Donc, Jean d'Ormesson en Pléiade, pourquoi pas, après tout? Ceci dit, je serais peut-être moins serein si Katherine Pancol ou David Foenkinos étaient les suivants à y entrer.
Car, tu le sais comme moi, nos avis sur la vie littéraire sont aussi soumis au sens du vent que les choix des responsables de la Pléiade.
Je t'embrasse, chère cousine,
ton cousin.


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