Il faut lire Le bleu de la nuit en gardant constamment à l’esprit un précédent livre de Joan Didion,
traduit en français il y a sept ans, L’année
de la pensée magique. Elle y décrivait de l’intérieur le sentiment de perte
qu’elle avait connu après la mort de son mari, à la fin de 2003, et le
« vortex » dans lequel elle avait plongé. A ce livre intime répond
donc Le bleu de la nuit,
écrit après la mort de sa fille adoptive, Quintana, en 2005. Les disparitions
ne s’additionnent pas : elles coexistent, comme les défunts continuent
d’exister dans la vie présente.
Le bleu qui donne son
titre au livre correspond à la couleur particulière de certains crépuscules
new-yorkais : « On en remarque
les prémices quand le mois d’avril touche à sa fin et que commence le mois de
mai, un changement de saison, pas vraiment un redoux – pas du tout un redoux,
en vérité – mais soudain l’été paraît proche, une possibilité, voire une
promesse. » Promesse… le mot cogne, à la première page d’un livre de
deuil. Mais le texte introductif n’est pas terminé : un peu plus loin, il
est question de la disparition des nuits bleues et Joan Didion explique
pourquoi elle a choisi ce titre : « Ce
livre s’appelle Le bleu de la nuit
parce qu’à l’époque où j’ai commencé à l’écrire, j’avais l’esprit de plus en
plus souvent tourné vers la maladie, vers la fin des promesses, le déclin des
jours, l’inévitable assombrissement, l’agonie de la clarté. Le bleu de la nuit,
c’est le contraire de l’agonie de la clarté, mais c’est aussi son
avertissement. »
Nous voilà
prévenus : la poésie qui court à travers ces pages n’est pas là pour
atténuer la douleur mais pour en faire ressortir l’extrême violence. Après la
promesse d’une promesse, si l’on ose le dire ainsi, voici que les mots
« maladie », « perte », « séparation » surgissent
avec leur poids de chagrin, qu’aucune balance ne peut mesurer – sinon la
littérature, le seul moyen dont dispose Joan Didion pour rester debout, malgré
tout.
Il y a ici des pages
d’une beauté tragique, qui déchirent le cœur sans rien perdre de leur grâce. Ce
sont des miracles d’équilibre, fragiles comme la femme qui s’observe vieillir –
elle est née en 1934 – et collectionne, une fois encore, les moments
d’autrefois parmi lesquels elle privilégie ici, tout naturellement, les mots de
sa fille, ses gestes, leurs échanges…
Le mariage de Quintana, ses recherches pour
retrouver sa véritable mère, ses séjours à l’hôpital, le jour où elle a manqué
d’oxygène et où le personnel médical ne s’en est pas rendu compte assez vite.
Quelques images qui marquent, parmi d’autres, et que Joan Didion examine avec
autant de sérénité que possible, leur donnant le sens inaltérable de la vie,
tout éphémère soit-elle.
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