Lydia Flem repart en
exploration vers les rapports entre les générations. Dans Comment j’ai vidé la maison de mes parents, elle inscrivait les
objets dans le cours de la vie, les rattachait à des souvenirs, leur fixait une
place dans le deuil. Il est encore question de séparation dans son nouveau
livre, au titre en écho : Comment je
me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils évoque le moment où les
enfants quittent le foyer familial pour voler de leurs propres ailes.
Alice au pays des merveilles
ponctue l’ouvrage : en passant de l’autre côté du miroir, Lydia Flem dit
la confiance qu’elle place dans la littérature, dont « on ne sort jamais indemne. » Elle ajoute : « L’art nous transforme. »
Mais il faut bien, malgré tout, tenir compte du principe de réalité et offrir à
sa fille de se frotter au monde, de découvrir ses forces et ses faiblesses pour
s’en faire des armes. Pousser l’oiseau hors du nid, un acte nécessaire et
difficile. La raison le commande. Le cœur le refuse, qui transmet curieusement
sa révolte à… l’estomac : il « produisait
des larmes acides à se tordre de douleur. »
Sophie part donc en
Angleterre. Les adieux sont brefs, à peine vingt minutes avec la famille
d’accueil. « Tels deux marionnettes,
deux automates sans volonté propre, nous sommes sortis. Nous ne nous
appartenions plus, flottants comme dans un rêve absurde. Mrs. Smith referma la
porte derrière nous. Nous étions dehors, notre fille dedans. »
Ensuite, la douleur de
l’absence. Et, pour l’évacuer au moins en partie, une tentative d’écrire au
plus près les sensations de cette période difficile. « Je ne voulais ni tenir un journal ni rédiger un roman, mais
inventer une autre forme, hybride, plus ouverte, plus insaisissable, souple,
comme les plis de la pensée, vivante comme les perceptions en mouvement, qui
relieraient les mots aux émotions. Une sorte de non-fiction novel, un roman qui ne serait pas une fiction,
une vérité qui serait de la littérature. »
L’écrivaine revient aux
premiers temps de sa maternité, cite des pages écrites à deux voix, avec le
père de Sophie, reprend d’un livre précédent (La voix des amants) des paragraphes qui appartenaient déjà à sa
fille. Ancré dans les années passées, le texte se nourrit à la fois du
quotidien et de la signification profonde de gestes simples. Acheter un nouveau
portefeuille, c’est retrouver dans le précédent des papiers dont on ne savait
même plus qu’ils s’y trouvaient. Parmi eux, le carnet de vaccination de Sophie,
rangé parmi d’autres documents depuis presque vingt ans. « Etait-il donc si difficile de renoncer à ce lien archaïque, de
protection, d’attention incessante, de complicité sans fin ? »
Lydia Flem s’interroge sans
cesse. Son expérience l’amène à se demander quelle mère elle a été, est et
sera. Quelle fille aussi, envers sa propre mère, tant les liens perdurent
au-delà des disparitions. En scrutant avec attention les aspérités de
l’existence, en les redessinant par les mots, elle trouve le moyen de tenir les
larmes à distance. Et probablement consolera-t-elle ses lecteurs ou, davantage,
ses lectrices, plus sensibles à la complicité des mères.
D’autant que l’histoire,
puisque c’en est une, finit plutôt bien : « Nous savions désormais que se séparer, ce n’était pas se
perdre. »
Quant
au « quasi-fils », plus âgé que Sophie, il est beaucoup moins présent
que celle-ci. Sa silhouette passe néanmoins de temps à autre, dans un identique
mouvement d’éloignement qui n’en est pas un. Familles, je vous aime.
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