Une intervention publique de Philip Roth avait fait beaucoup de bruit parce qu’il s’en
prenait à Wikipedia. En désaccord avec l’interprétation donnée par
l’encyclopédie en ligne des sources d’inspiration utilisées pour La tache, il n’avait pas été considéré
comme un informateur suffisamment fiable pour être autorisé à modifier l’article. La version américaine de
celui-ci résumait le débat. On peut considérer qu’il est clos.
Tout en se disant que, pour un écrivain qui range ses petites affaires avant de
quitter ce monde, il y a décidément maintenant une nouvelle manière de le faire…
Philip Roth aura donc
vécu avec son époque depuis l’enfance jusqu’à l’heure du web 2.0. En 1944, il
avait 11 ans et les grandes peurs étaient engendrées par la guerre où bien des
hommes destinés à un bel avenir tombaient sur les fronts européen et asiatique.
Mais aussi par une maladie aujourd’hui presque oubliée, la poliomyélite. Bucky
Cantor, grand jeune homme baraqué mais à la vue trop mauvaise pour entrer dans
l’armée, est directeur d’un terrain de jeu à Newark, dans le quartier juif de Weequahic.
La polio est entrée dans la ville par le quartier italien et s’est disséminée
ensuite pour frapper surtout Weequahic. En particulier des enfants qui
fréquentent le terrain.
Bucky, dans une scène
presque inaugurale de Némésis, fait face à un groupe de jeunes Italiens qui disent, en
crachant aux abords du terrain de jeu, vouloir disséminer la polio qui ne
frappe encore, à ce moment, que chez eux. Un peu plus tard, il calme le
« dingo » du quartier, qui promène toute la journée sa crasse et ses
odeurs, en lui serrant la main alors que certains le soupçonnent de propager la
maladie. Une grande maîtrise de soi et un sens aigu de son devoir caractérisent
le jeune homme qui se sent coupable de n’être pas au combat avec ses amis. Pour
rien au monde, il ne quitterait sa fonction malgré l’épidémie. Pour rien au
monde, sauf peut-être pour Marcia avec qui il envisage de se fiancer et qui,
elle, se trouve à l’abri très loin des miasmes de la ville, dans un camp de
vacances à Indian Hill. Il cède à son invitation de la rejoindre et part au
camp avec le sentiment d’avoir déserté.
Puisqu’il retrouve son
amoureuse dans un cadre privilégié, tout devrait pourtant bien se passer. Sinon
que Bucky est assez remonté contre le Dieu auquel Marcia est attaché. Il le
tient responsable de la maladie et des morts qu’elle provoque. Sinon aussi que
la polio s’invite au camp. Apportée probablement par Bucky lui-même…
Les deux premières parties montraient le
personnage principal à Newark puis à Indian Hill. La dernière, plus courte, lui
fait retrouver, en 1971, un des garçons du terrain de jeu, frappé lui aussi à
l’époque par la polio et handicapé comme Bucky. Celui-ci, dans des
conversations qui s’apparentent à des confessions, s’explique sur la manière
dont il a vécu la tragédie et ses conséquences. C’est simple et profond.
Imparable.
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