On grimpe beaucoup dans
le dernier roman de Tom Wolfe. Nestor, flic baraqué d’origine cubaine, sur un
mât. Magdalena, sa petite amie au début du récit, infirmière, dans les strates
des classes sociales. John, journaliste au Miami
Herald, dans l’estime de son patron – mais après avoir été considéré comme
un moins que rien, ce qui sera aussi, à l’un ou l’autre moment, le cas de tous
les personnages grâce auxquels l’écrivain dessine sur la ville de Miami un
réseau serré d’informations. Cela ne fait pas de Bloody Miami un documentaire, même si son auteur aime à dire qu’il
a passé beaucoup de temps à enquêter sur les relations entre les populations
d’origines diverses qui s’y côtoient dans une harmonie très relative. Mais les
aspects romanesques sont au cœur du moteur qui anime l’ouvrage. Beaucoup plus
que la documentation.
Ascensions et chutes,
donc, les secondes d’autant plus retentissantes que les premières ont été
spectaculaires, dans un enchevêtrement d’histoires personnelles aux
intersections amenées comme par hasard. Suivons Nestor, un bon flic, un
excellent flic même, toujours prêt à donner de sa personne et à se montrer
digne de la confiance de son chef. Quand il monte sur un mât de vingt mètres
dans le premier chapitre (un prologue l’a précédé), c’est pour sauver un homme
réfugié sur un minuscule siège de gabier et qui risque à chaque instant de
s’écraser sur le pont. Au prix d’une belle performance physique, Nestor sauve
donc cet homme, un Cubain qui cherchait l’asile aux Etats-Unis et ne pourra en
bénéficier, faute d’avoir mis un pied à terre. Dans sa communauté et jusque
dans sa famille, le bon flic est désormais un traître. Les choses ne
s’arrangeront pas quand il procédera à l’arrestation musclée d’un revendeur de
drogue au cours de laquelle lui et son équiper, filmés à leur insu, profèrent
des injures racistes – le voyou est noir – après lesquelles ils seront
suspendus. Cerise sur le gâteau, la complicité qui naît entre Nestor et John,
le journaliste qui a publié un article élogieux sur son exercice de sauvetage,
croît et embellit en dehors de tous les règlements de la police. Mais pour un
autre genre d’exploit : révéler qu’un oligarque russe a offert à la
municipalité des faux tableaux qui lui ont permis d’asseoir une réputation par
ailleurs bien compromise.
Entre les affaires de
police, les enquêtes journalistiques, la prostitution, la drogue, le pouvoir
local, Tom Wolfe met en marche la mécanique complexe d’un thriller dont chaque
protagoniste important a le temps de nous devenir familier. Et de livrer ses
malsains petits (ou grands) secrets, empoisonnés par l’appartenance à telle ou
telle communauté : cubaine, russe, américaine blanche, noire…
L’ensemble est porté par
une écriture électrique, inattendue si l’on n’a de Tom Wolfe que l’image du
dandy véhiculée par ses photos. L’écrivain fait un usage abondant des
onomatopées qui hachent les phrases, des répétitions qui leur donnent un rythme
stroboscopique. Bien en phase, d’ailleurs, avec un chapitre situé dans une
grande boîte à strip-tease.
On a beau se dire parfois
que le romancier en fait trop dans la déstructuration du langage, on reste
scotché sur la page, inquiet autant que désireux de savoir où il nous conduit.
Donc, on y va, ballotté comme sur un bateau rapide qui frappe l’eau – SCHLACK –
dans deux scènes frappantes. Elles le sont toutes, Tom Wolfe ayant conçu les 21
chapitres comme autant de morceaux de bravoure, sans laisser le temps de
souffler entre deux rebondissements.
Les raisons qui nous font
aimer Bloody Miami feront dire à
d’autres lecteurs que c’est un échec. Mais une telle ambition littéraire, dans
la langue comme dans le contenu, quand même ! Et cette manière de placer,
comme dernier mot, celui qu’on n’attend pas ! C’est fort. Très fort.
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