Même les séries policières ont une fin, pour autant que les auteurs le
décident. Liliane Korb et Laurence Lefèvre, les deux sœurs qui signent d’un
pseudonyme commun, Claude Izner, terminent donc les enquêtes du libraire Victor
Legris avec Le dragon du Trocadéro.
Ce douzième épisode est construit en forme d’itinéraire dans
le Paris 1900 de l’Exposition universelle où se pressent les touristes du monde
entier. Itinéraire fléché à un double titre, puisqu’il faudra retrouver la
trace d’un mystérieux bateau et parce que les victimes sont tuées par des
flèches. Victor Legris, sorti une dernière fois de sa librairie, hume le
mystère et met son talent au service de son élucidation. Comme dans les autres
volumes, la reconstitution de l’époque est le point fort du roman.
Choisir un libraire
comme héros d’une série policière, c’est peu banal. Votre expérience
personnelle était-elle la première raison de ce choix ? Ou y avait-il
autre chose ? Par exemple, le plaisir de citer des livres parus au moment
des événements ?
Pourquoi avoir fait du
héros de nos « Mystères parisiens » un libraire ? Tout
simplement parce que nos parents étaient bouquinistes sur les quais de Seine,
que Liliane a exercé ce métier pendant trente ans (après avoir été
chef-monteuse de cinéma), et que Laurence tient un étalage de bouquiniste
depuis quarante-deux ans. Comme nous avions déjà fait du personnage central de
notre premier roman policier un bouquiniste, nous avons opté, quand nous avons
écrit Mystère rue des Saints-Pères,
pour la profession de libraire. La librairie « Elzévir » est inspirée
de celle que tenait le père de l’écrivain Anatole France, une librairie
« à chaises » où les amateurs de livres consultaient les ouvrages de
leur choix et devisaient, sans obligation d’achat. Cela nous permet de citer
des volumes anciens, des parutions « fin-de-siècle », toutes sortes
de vieux bouquins qui nous tiennent à cœur. Après tout, on ne parle bien que de
ce que l’on connaît !
Vous aviez d’abord
publié Sang dessus dessous, un roman
à intrigue, lié lui aussi au monde de la librairie, plus proche de notre
époque. Trop proche pour vous ébattre à l’aise dans la fiction ?
Sang dessus dessous a
été notre première incursion « en tandem » dans la littérature
policière destinée aux adultes. Il se situe pendant la période où nous l’avons
écrit, en 1998. Nous avons tiré un plaisir énorme de son élaboration, parce que
nous évoquions notre quotidien, des faits divers dont nous avions été témoins
et que nous avions notés dans nos calepins, des événements de l’époque, et que
nous donnions libre cours à notre imagination plus encore que dans les vingt
romans pour la jeunesse écrits précédemment. Sans doute eussions-nous poursuivi
sur cette lancée sans des refus éditoriaux qui nous ont poussées sur une autre
voie. Victor Legris est né en 2000 et nous a permis de nous adonner à un autre
de nos penchants, la recréation d’une ambiance passée, en l’occurrence celle du
Paris « fin-de-siècle ».
La série, qui se
termine, dit-on, est encadrée par deux Expositions Universelles. Parce que ce
sont des moments où le monde entier se presse à Paris encore davantage qu’à
d’autres romans ? (Jonathan Coe a fait un peu la même chose pour Bruxelles
avec Expo 58, récemment.)
Dans un recueil de
nouvelles pour enfants paru chez Castor-Poche Flammarion en 1998 et intitulé Neuf
récits de Paris, la dernière histoire met
en scène la « naissance » de la Tour Eiffel. Après nos récits
destinés aux 8-12 ans, nous avons osé aborder le polar historique. Débuter par
l’Exposition Universelle de 1889 fut un choix déterminé par notre attirance
pour les dernières années du XIXème siècle, si lointaines et si proches de
notre aujourd’hui, avec l’apparition de nombreux « ismes » :
colonialisme, syndicalisme, anarchisme, marxisme, féminisme, antisémitisme,
naturalisme, symbolisme, japonisme, cosmopolitisme… Lorsque Emmanuelle
Heurtebize, notre éditrice d’alors,
accepta en 2001 notre premier tapuscrit, et nous a encouragées à écrire une
série, nous avons eu l’idée d’accompagner nos personnages de l’Exposition de
1889 à celle de 1900. Ces Expositions Universelles ont été de grandes vitrines
des découvertes scientifiques et guerrières préfigurant celles du XXème siècle.
En 1889 se dresse le phare de la Tour Eiffel, symbole du fer français. 1900
voit rayonner la Fée Electricité. A l’horizon se profile la grande boucherie de
14-18…
Au fil des enquêtes,
Victor Legris ne s’est-il pas un peu éloigné de sa profession principale ?
Victor Legris est et
demeure un libraire, bien que sa passion pour la photographie puis pour le
cinématographe, inventé en 1895 par les Frères Lumière et brillamment utilisé
par Georges Méliès notamment dans le domaine de la fiction, occupe de plus en
plus ses loisirs. Néanmoins, son goût pour les éditions rares perdure. Chacune
de ses enquêtes ne le détourne de son métier que deux ou trois semaines par an,
d’où l’impression qu’il peut donner de « faire la librairie buissonnière » !
La lecture est aussi un des ses passe-temps favoris, et, dans Le Dragon du
Trocadéro, il savoure Trois hommes
dans un bateau de Jerome K. Jerome, dont
il apprécie l’humour.
Pourquoi arrêter la
série ? Par lassitude ? Envie de faire autre chose ?
Nous avons, dès le
début de la série, annoncé qu’elle irait d’une Exposition Universelle à
l’autre, au rythme d’une enquête par an : donc, douze romans. Ce chiffre,
hautement symbolique (12 travaux d’Hercule, 12 tribus d’Israël, 12 heures de la
journée, 12 mois de l’année, 12 signes du zodiaque, etc.) nous paraissait
devoir être bénéfique. C’était un défi que nous nous lancions à
nous-mêmes ! Nous n’avons jamais remis en cause le terme des aventures de
Victor en 1900, même si cela nous fait de la peine de quitter son petit monde.
Nous ne sommes pas lasses, nous sommes satisfaites d’avoir mené cette
entreprise à bon port. Et maintenant, nous éprouvons le désir de créer de
nouveaux personnages dans un Paris plus proche de nous, ancré dans le vingtième
siècle. Un nouveau défi. La vie, c’est le changement !
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