Le parcours débute au Jardin
du Luxembourg. Il ne quittera pas les arrondissements du centre, traversant la
Seine pour s’achever dans le 3e, rue Charles François Dupuis, à
quelques pas du square du Temple. Le narrateur commence par s’asseoir sur une
chaise où il se gèle. C’est l’automne, il pense à la femme qu’il aime et qu’il
rejoindra, au bout de la promenade, pour lui poser une question que la marche
aura fait mûrir. La marche et les digressions qui l’accompagnent.
Alexandre Lacroix
récolte, sur l’itinéraire de son personnage, quantité d’informations et
d’émotions qui s’accumulent pour dresser de Paris, ou de l’idée qu’il se fait
de Paris, un inventaire plein de sensibilité. Mais en désordre, comme celui du
livre de Walter Benjamin qu’il évoque : le philosophe et écrivain allemand
avait entrepris, pour compléter ses flâneries parisiennes, d’écrire un livre
total sur la capitale française. Il y a travaillé treize ans, de 1927 à 1940,
accumulant une documentation par laquelle il s’est trouvé dépassé. Il a fallu
attendre longtemps après sa mort la publication de ses notes. Mille pages
serrées de citations dans lesquelles, contre toute attente, se dessine un
sens : « Le plus étrange, c’est
que l’ordre des citations dessine une réflexion très cohérente : on peut,
d’un fragment à l’autre, deviner quels développements aurait proposé Benjamin. »
La cohérence du Voyage au centre de Paris s’impose
d’abord par la géographie : le parcours que nous avons évoqué et qu’un
plan, en fin de volume, aide à visualiser. Mais la cohérence s’impose surtout,
plus souterrainement il est vrai, par une interrogation constante sur le
rapport à la ville ainsi que sur le rapport aux autres à travers la ville.
Cette ville-là, précisément. Le livre commence d’ailleurs par une
question : « Est-ce que j’aime,
ou est-ce que je déteste Paris ? » Elle se déclinera ensuite tout
au long d’un roman encyclopédique par certains aspects. Où cherche-t-on, en
effet, les réponses que l’on ne trouve pas en soi ? Dans les livres, bien
sûr, et Alexandre Lacroix se confond, de ce point de vue, avec son promeneur.
Il (l’auteur ou le
personnage ?) a toujours aimé lire. Une bibliothèque a d’ailleurs été le
lieu de rencontre avec la femme qu’il aime – celle qui l’attend au bout du chemin.
A force de fouiner, des lectures peu communes se sont glissées parmi d’autres
plus prévisibles. Quai du Louvre, observant la mousse qui pousse entre les
pavés, il pense au traité qu’avait publié, en 1866, le botaniste William
Nylander : Les lichens des jardins
du Luxembourg. Puis au « petit
trésor de style » d’un autre ouvrage, Écologie (phanérogames – mousses – lichens) de quelques sites de Paris,
par Maurice Bouly de Lesdain. Il date de 1948 et la période de guerre y joue un
rôle plus important que ne laisse croire un titre aussi factuel.
Alexandre Lacroix exhume
aussi, entre autres curiosités susceptibles de provoquer des envies de
découvertes, un roman d’anticipation d’Alfred Franklin, employé à la
Bibliothèque nationale, Les ruines de
Paris en 4875. Edité en 1875, réédité plusieurs fois, et notamment en 1908,
il devient, sous la plume d’Alexandre Lacroix, Les ruines de Paris en 4908, le titre ayant évolué au fil du temps.
Peu importe l’année : il est aussi divertissant que l’annonce l’auteur.
Celui-ci est donc un érudit. Mais sans
pédanterie, ce qui lui évite d’ennuyer. Le moindre détail s’articule au trajet
qui lui-même modifie l’état d’esprit.
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