Un tableau, à peine dévoilé par la couverture du livre sous une
déchirure de papier, et deux explosions. Un des angles, pas le seul, sous
lequel peut être envisagé Le chardonneret,
troisième roman de la romancière américaine Donna Tartt, aussi ample, aussi
touffu que les précédents. Comme eux, un plaisir de lecture long et intense.
Le tableau fournit le titre du roman. Il est l’œuvre de Carel
Fabritius, peintre néerlandais du 17e siècle mort à Delft en 1654
lors de l’explosion de la poudrière de la ville. La deuxième explosion est un
attentat de notre époque, un 10 avril à New York, au MoMa, alors que Theo et sa
mère visitent une exposition dans laquelle se trouve le tableau de Fabritius.
Quatorze ans plus tard, alors qu’il se trouve dans un hôtel d’Amsterdam et que Le chardonneret occupe toujours une
place importante dans sa vie, Theo rêve de sa mère pour la première fois depuis
longtemps, avec la culpabilité qu’il éprouve chaque fois qu’il pense à
elle : il se croit responsable de sa mort ce jour-là, l’arrêt au musée
s’étant produit sur le chemin du collège dont Theo venait d’être exclu
temporairement.
Plutôt que le tableau, le premier que sa mère dit avoir aimé
grâce à une reproduction trouvée dans un livre, Theo avait remarqué une fille
qui visitait aussi l’exposition avec un vieil homme à cheveux blancs. Puis,
alors qu’il était séparé de sa mère, « il
y eut un éclair noir et des débris furent balayés vers moi puis tournoyèrent,
après quoi le grondement d’un vent chaud me heurta de plein fouet et me projeta
de l’autre côté de la salle. » Près de lui, quand Theo reprend
conscience, le vieil homme semble lui désigner Le chardonneret, puis il lui donne une bague en expliquant où il
devra l’apporter. Le garçon de treize ans, choqué mais entier, se trouve chargé
d’une mission en même temps que d’un chef-d’œuvre qui n’a pas fini de
l’éblouir. Ni de lui pourrir la vie.
Car, ne sachant que faire du petit tableau, légèrement plus grand
qu’une feuille A4, et n’ayant surtout aucune envie de s’en séparer, il laisse
passer trop de temps pour qu’il lui soit encore possible de le restituer sans
d’embarrassantes explications. Theo a, en outre, des préoccupations
immédiates : où va-t-il vivre ? Son père s’était déjà enfui, il n’a
plus sa mère, il échoue dans la famille d’un ami de collège mais la situation
ne peut être que provisoire.
On a beau s’attacher à Theo pendant quatorze ans, on est obligé
de reconnaître qu’il gardera toujours un côté voyou. Moins cependant que Boris,
devenu son meilleur ami et son complice de bêtises adolescentes à Las Vegas où
Theo vit quelque temps chez son père qui s’est souvenu de l’existence d’un
fils, imaginant simultanément qu’il pourrait payer ses dettes de jeu grâce à
l’argent déposé sur un compte au nom de ce fils.
Les aventures s’enchevêtrent de manière inextricable, la bague du
vieil homme ayant aussi permis à Theo de retrouver Pippa, la fille du Musée et
de rencontrer son oncle Hobie, avec qui il travaillera, remontant sa boutique
d’antiquités chancelante au prix de manœuvres très peu orthodoxes. N’essayons
pas de résumer : le parcours d’ensemble est aussi excitant que sont
touchants les moments sur lesquels s’attarde Donna Tartt.
Et cette belle réussite se conclut par une
méditation désenchantée sur le sens de la vie, où tout serait sombre s’il n’y
avait eu la lumière émanant du tableau.
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