Nouvelliste ou romancier, Bernard Quiriny nous entraîne ailleurs,
souvent dans d’habiles et rigoureuses constructions intellectuelles. Cette
fois, Le village évanoui est une
construction concrète, un village de mille habitants au centre de la France
dont le romancier fait une description réaliste. Nous croiserons bon nombre de
ceux qui y vivent, notamment par le biais d’une enquête dans laquelle ils sont
invités à s’exprimer.
Mais le réalisme cède quand, à la stupéfaction générale, celle
des habitants et la nôtre, le village se trouve, au matin du 15 septembre 2012,
coupé du monde extérieur. Les voitures tombent en panne après cinq kilomètres,
le réseau téléphonique est mort, Internet ne répond plus. Une aberration
mentale provisoire ? Pas vraiment : l’isolement s’installe dans la
durée pour un territoire de quinze kilomètres carrés devenu une île où l’on
ignore ce qui se passe ailleurs. Pour autant que cet ailleurs existe encore –
un seul signe semble attester que tout n’a pas disparu au-delà de la frontière
invisible et infranchissable : l’électricité est toujours fournie, il faut
donc bien qu’une centrale fonctionne quelque part.
La dimension philosophique du roman ne tarde pas à
apparaître : l’enclavement soudain est-il un bien ou un mal ? Les
avis divergent, tandis qu’ils se rassemblent sur la conséquence de cette
loi : « la propension d’un
territoire à la division est d’autant plus grande que le territoire est petit. »
Verviers, un fermier, en est la preuve vivante : capable, sur son
exploitation agricole, de vivre en autarcie, il décide de se soustraire à
l’autorité locale, clôt ses terrains en y intégrant quelques surfaces voisines
et invite ceux qui veulent se prendre en charge sous son autorité à rejoindre
la sécession. Plus tard, il faudra faire venir des femmes pour assurer la
reproduction, car il devient nécessaire d’envisager l’avenir à long terme. Bien
entendu, la petite communauté est dépendante de la volonté de son chef. Une
volonté solide, mais solitaire, ce qui laisse entrevoir une faille dans
l’organisation future.
Bernard Quiriny creuse son sujet sans l’épuiser. Les conséquences
de son postulat de départ conduisent en effet à des variations presque
infinies, comme le montrent les commentaires des habitants sur une situation où
les contraintes se sont multipliées. Valentin, 17 ans, ne peut plus écouter de
nouveaux disques. Les déchets risquent de s’accumuler, constate Edmond, 56 ans,
à moins qu’une gestion intelligente soit mise en place. Célestin, 30 ans,
réécrit l’histoire de l’humanité aux dimensions de sa prison. Et si c’était une
expérience ? se demande Martine, 40 ans…
Le romancier évite même de tourner en rond, ce
qui n’est pas si facile dans un espace restreint ainsi que l’ont vite compris les
amateurs de tourisme. Sa construction, soigneusement fermée sur elle-même, doit
quand même offrir une possibilité d’ouverture pour ne pas s’écrouler sur
elle-même. L’aventure est encore possible une fois le livre achevé.
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