Faute de temps, le projet de grande anthologie chronologique s'estompe - provisoirement peut-être. Ce qui n'interdit pas de remettre, parfois, le nez dans des livres qui nous racontent la Grande Guerre. Ils seront moins nombreux - ils seront aussi littérairement plus pertinents. Le 22 septembre 1914, Alain-Fournier mourait sur le théâtre des combats, à Saint-Remy-la-Calonne. Hédi Kaddour réinvente l'événement au début d'un roman monumental, Waltenberg.
« Le lieutenant est mort ! »
Puis beaucoup de phrases, Alain-Fournier est mort, la littérature
blessée à jamais, la fin de notre enfance, les arbres de Sologne sont en deuil,
la communale est morte, la salle de classe à goût de foin et d’écurie, tout, la
maison rouge, les vignes vierges, la lampe au soir, Noël, ballots de
châtaignes, tout, les victuailles, enveloppées dans des serviettes, et les odeurs
de laine roussie quand un gamin s est réchauffé trop près de l’âtre, pas de
corps identifié. La dépouille de Fournier manquait à l'appel.
« Henri Alban Fournier (dit Alain-Fournier) meurt
frappé au front », affirme son beau-frère Jacques Rivière qui tient cela d’un
homme.
« Il tombe frappé au front », raconte Paul
Genuist.
« Une balle au front, dans une action héroïque »,
précise Patrick Antoniol.
Saint-Rémy, trois semaines après Monfaubert, la balle au
front, c’est l'ordonnance de Fournier qui le dit, un nommé Jacquot, il a tout
vu :
« Au front, tué net. »
Fournier avait écrit :
« J’ai choisi une ordonnance, un zouave, le genre
crapule et débrouillard, campagnes au Maroc, deux dents démolies par les
balles, je crains qu’il ne soit hâbleur. »
Jacquot a ajouté :
« Quand je suis revenu, le lieutenant était tout
froid. »
La balle au front, la sœur de Fournier n’y croit pas, Henri n’est
pas mort :
« Jacquot a inventé la balle en plein front, il avait
dit à mes parents « je veillerai sur le lieutenant », il n était pas
à côté, il était derrière. »
Hédi Kaddour, Waltenberg. Gallimard, 2005
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