En Extrême-Orient, où se trouve André Bellessort au moment de la déclaration de guerre, les informations parviennent non seulement avec retard mais dépendent en grande partie des conditions dans lesquelles on se trouve : rien à certains endroits, puis une avalanche qui résume approximativement plusieurs jours du conflit. Entre le 26 août, où il embarque à Hong-Kong sur le Katori Maru, et le 31, où il arrive à « Singapore », deux communications télégraphiques seulement. Pas très rassurantes d'ailleurs. Arrivé en train le lendemain à Malacca, il y constate l'indifférence.
L'inquiétude si manifeste des gens de Singapore n'était point
parvenue jusqu'ici. On recevait des journaux, et même, sur les cinq
heures du soir, des enfants couraient par la ville et vendaient les
dernières nouvelles dans des enveloppes fermées. Mais personne ne
se les disputait. Et, comme ces nouvelles ne disaient pas grand'
chose, on ne disait rien. Les Chinois essuyaient leurs lunettes et
les lisaient posément au fond de leurs boutiques. Sur cette terre
qui ne leur avait jamais appartenu, et où ils étaient les hôtes
des Anglais, et aussi leurs imitateurs, puisqu'ils y ont fondé un
Chinese Lawn Tennis Club, ils s'associaient de bon cœur à la
politique anglaise. Du reste l'Allemand était à Malacca un être à
peu près inconnu. Le vieux tenancier du Resthouse, un grand et gros
Normand de Guernesey, me disait : « Il reste encore plus
de crocodiles dans notre sale petite rivière et plus de tigres dans
les bois voisins qu'il n'y a d'Allemands dans toute la région. »
André Bellessort, Un
Français en Extrême-Orient au début de la guerre.
Librairie académique Perrin, 1918
En Lorraine, la situation est singulière. René Bazin, auteur populaire en son temps – et très oublié aujourd'hui –, crée avec le personnage de Baltus les conditions nécessaires à comprendre comment les choses se sont passées dans cette région découpée, déchirée entre deux pays devenus les belligérants du moment. Le romancier français a, bien entendu, choisi son camp et, du même coup, celui où il range son personnage principal.
Le jour où on avait appris la déclaration de guerre, dans plus
de soixante maisons, sur soixante-dix qui formaient le bourg de
Condé-la-Croix, les mêmes mots avaient été dits avec précaution
et avec effroi : « Les pauvres Français ! Que
vont-ils devenir ? » Et les nouvelles du premier mois,
celles de la première semaine de septembre 1914, comme elles étaient
venues augmenter l’angoisse ! A chaque succès de l’Allemagne,
la Mutte de la cathédrale de Metz sonnait de sa voix grave. Les
cloches des bourgs d’Alsace et de Lorraine étaient contraintes de
chanter aussi. La police les épiait. Plus tard, quand il y eut des
reculs des armées allemandes, les cloches durent sonner quand même.
L’Etat-major télégraphiait : « Nouveau grand
succès ! » ; les préfets transmettaient la nouvelle
et l’ordre de se réjouir ; deux fois les Lorrains, dans les
camps lointains de Königsberg, entendirent annoncer la prise de
Verdun.
René Bazin, Baltus le Lorrain. Calmann-Lévy,
1926
Au champ d'honneur, les victimes sont nombreuses. La plupart restent presque anonymes, même si les journaux citent brièvement des noms dont seules les familles garderont souvent la mémoire. Mais il est des morts célèbres pour ce qu'ils avaient accomplis avant la déclaration de guerre. Charles Péguy est l'un des premiers, tombé le samedi 5 septembre près de Meaux, lors de la bataille de l'Ourcq. Il faudra plus de dix jours pour que la presse parisienne reçoive la nouvelle et lui fasse écho. Maurice Barrès est l'un des premiers, et son article est cité par la plupart des autres quotidiens.
Nous sommes fiers de notre ami. Il est tombé les armes à la
main, face à l'ennemi, le lieutenant de ligne Charles Péguy. Le
voilà entré parmi les héros de la pensée française. Son
sacrifice multiplie la valeur de son œuvre. Il célébrait la
grandeur morale, l'abnégation, l'exaltation de l'âme. Il lui a été
donné de prouver une une minute la vérité de son œuvre. Le voilà
sacré. Ce mort est un guide, ce mort continuera plus que jamais
d'agir, ce mort plus qu'aucun est aujourd'hui vivant.
Honneur au maître Charles Péguy. Il passe devant tous ses
émules.
Bien qu'il meure dans un moment où la vie humaine semble avoir
moins de prix qu'une cerise au fort de la saison, sa mort fera
pleurer son petit monde, la chapelle où il était aimé jusqu'à
l'idolâtrie, et produira un long ébranlement dans les lettres
françaises.
[…]
Je n'apporte ici qu'un feuillet écrit au crayon, un feuillet à
clouer sur une croix de bois où le vent, vingt-quatre heures, le
respectera, afin que notre ami ait le salut et la prière du passant.
Maurice Barrès, Charles
Péguy mort au champ d'honneur,
in L'Écho
de Paris,
17 septembre 1914
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