Josephine Linc. Steelson, une négresse et revendiquée comme
telle, têtue, quasi centenaire, qui n’a pas sa langue en poche. Keanu Bearns,
harassé par son travail sur une plate-forme pétrolière, de retour sur la terre
ferme avec de nouveaux projets. Rose Peckerbye, qui n’obtient aucune pension
alimentaire en divorçant et dont les jours à venir s’annoncent difficiles, en
compagnie de son fils Byron. Un prêtre exalté, et de plus en plus au fil des
pages, qui visite des prisonniers. Les prisonniers eux-mêmes. Et toute une
foule constituée par la population, pour l’essentiel sa part la plus démunie,
qui n’a pas pu s’éloigner de La Nouvelle-Orléans à l’annonce du passage de
Katrina, ouragan de sinistre mémoire.
Le casting est parfait. Le décor, d’enfer. Chacun des personnages
principaux fait entendre sa voix, parfois solitaire, souvent mêlée à celle des
autres. Et les figurants sont nombreux à ne pas passer inaperçus. Quant aux
éléments déchaînés, ils nourrissent de leur colère la peur des habitants, ils
griffent la ville comme le ferait un monstre et emportent tout sur leur
passage, ils s’acharnent sur les rues devenues des rivières en crue.
Ouragan tient, par
sa forme, et même davantage par son matériau, du premier roman de Laurent
Gaudé. Dans Cris, l’auteur utilisait
son expérience de dramaturge pour faire entendre la parole de combattants dans
les tranchées – le livre avait été porté à la scène. Ici, la même technique est
renforcée par l’art du romancier qui embrasse une scène d’un coup d’œil,
perçoit un mouvement et le décrit en quelques mots, pousse ses personnages les
uns vers les autres et leur fait vivre des histoires. Courtes et intenses,
incandescentes comme lorsque le danger est omniprésent.
Les pages les plus denses sont celles où tous parlent – ou
plutôt, pensent ce qu’ils vivent – en même temps. On est au cœur de la tragédie
et avec le chœur qui la chante. On est saisi jusqu’aux tripes par une mélodie
âpre d’où se détachent, sur fond de désespoir, des notes d’espérance.
Deux autres romanciers français avaient déjà choisi Katrina comme
élément de fictions inscrites dans le réel : Stéphanie Janicot, avec L’œil du cyclone, et Gilles Leroy, avec Zola Jackson. Laurent Gaudé ne sert pas
le même plat. Il traverse le cataclysme avec ses propres moyens. Qui sont, on
le mesure ici plus encore que dans ses livres précédents, considérables. Jamais
il n’a été autant en symbiose avec son sujet, jamais il n’a réussi à porter
aussi violemment le choc en nous. On remarquera qu’il obtient ce résultat avec
un livre assez bref, preuve qu’il n’est pas toujours nécessaire de noircir des
centaines et des centaines de pages. Il suffit (facile à dire !) d’une
écriture dans la note juste, même quand elle semble cacophonique, et d’une
force intérieure qui ne s’explique pas. Mais se lit intensément.
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