dimanche 31 août 2014

Didier Decoin, la criminelle et le bourreau

Didier Decoin sait ce que veut dire raconter une histoire. Il l’a fait plus de vingt fois. Romancier classique dans la forme, il aime entraîner les lecteurs à sa suite dans la découverte de personnages aux destins singuliers, qu’ils s’inspirent ou non de la réalité. Jamais très loin, quoi qu’il en soit, de la vraisemblance. En particulier dans son nouvel ouvrage, La pendue de Londres, où il suit pendant une dizaine d’années les trajectoires convergentes d’Albert Pierrepoint, bourreau britannique, et de Ruth Ellis, qui ne l’aurait jamais rencontré si elle n’avait été condamnée à mort pour le meurtre de son amant et exécutée, à 28 ans, le 13 juillet 1955. Les faits sont authentiques. Du roman, il valait la peine de parler avec Didier Decoin.
Comment avez-vous rencontré l’histoire de Ruth Ellis ?
Je la connais depuis que j’ai dix ans. J’étais un petit garçon, il y avait cette fille si belle qu’on avait tuée… Dans France-Soir, tout était raconté. J’avais été profondément touché. Depuis longtemps, cette histoire me trottait dans la tête mais je ne savais pas par quel bout la prendre. Et puis, je suis tombé sur les mémoires de Pierrepoint, le bourreau. Du coup, le livre pouvait exister : il avait une épaisseur, il avait deux voix.
Encore fallait-il resituer le contexte.
Je ne savais rien de Londres à cette époque. La ville était beaucoup plus crépusculaire qu’on ne l’imagine, elle avait souffert de la guerre beaucoup plus que Paris. Des quartiers entiers étaient par terre suite aux bombardements, il y avait des terrains vagues, la lumière n’était pas rétablie partout. Je cherchais malgré tout un ton qui ne soit pas lugubre et qui soit aussi vivant que possible. Le livre n’a pas été facile à écrire mais, à partir du moment où j’avais tous les ingrédients, la recette était facile à faire.
Les deux personnages n’avaient, a priori, rien pour se rencontrer.
Non, mais leur rencontre était inéluctable. Ruth ne le savait pas mais elle avait rencontré la mort et la mort l’attendait au bout de son chemin. Je trouve cette femme formidable. Pendant 28 ans, les hommes s’obstinent à lui mettre la tête sous l’eau et, à chaque fois, elle la relève, elle s’ébroue, elle repart au combat. Elle est une victime, elle n’est pas vaincue. J’aime bien les gens comme ça, qui ne se laissent pas étouffer.
Ruth est le stéréotype de l’aventurière, non ?
L’aventurière en chambre, en tout cas. Il ne faut pas se dorer la pilule : Ruth est une prostituée de luxe. Sa véritable ambition, c’est d’arriver à élever ses gosses et d’avoir un gentil mari qui s’occupe d’elle. Elle le cherche toute sa vie, elle croit parfois l’avoir trouvé. Est-ce que c’est elle qui attire le genre d’hommes qui entrent dans sa vie ?
Elle n’a rien fait pour avoir son père sur le dos !
Non, elle n’a rien fait pour. Mais elle est née sous une mauvaise étoile.
Sur l’autre face du roman, en alternance, nous avons donc Albert Pierrepoint. Peut-on dire que c’est essentiellement un homme… correct ?
Tout à fait. Il est attendrissant, il est très bien élevé, il est courtois. Il fait attention aux autres, il ne veut pas que sa femme, sa petite marchande de bonbons, sache qu’il est bourreau. Et il est formidable envers ses « clients ». La peine de mort est un de mes combats et j’ai regardé comment étaient les autres bourreaux dans le monde. Ce ne sont pas les êtres les plus brillants qu’on puisse rencontrer. Ils ne sont pas très humanistes…
Contrairement à beaucoup de ses collègues, Pierrepoint se pose des questions sur la peine de mort…
Il est devenu abolitionniste convaincu à la fin de sa vie, en se disant qu’il n’y avait aucune exemplarité dans la peine de mort. Ca n’empêche personne de basculer dans le mal. Et puis, je crois qu’il avait pris conscience, après son 435e pendu, que c’était quelque chose de révulsant. Je ne raconte pas dans le livre ce qui se passe dans la pièce en dessous, après la pendaison. Ce n’est pas très gai quand on se dit : c’est moi qui ai fait ça.

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