La ville belge de Louvain est occupée depuis quelques jours par l'armée allemande quand, pour des raisons qui restent mal expliquées, celle-ci se lance le 26 août dans un gigantesque pillage, incendiant la ville qui brûlera pendant plusieurs jours. Le futur écrivain Henry Bauchau a un an et demi et n'a pas la mémoire des événements. Mais, quand il surprend, plus tard, sa mère et sa grand-mère en parler, il comprend que, comme elles, il ne peut plus être le même après avoir échappé à la mort.
L’enfant est né en 1913 dans l’élégance, la propreté
douteuse et les conflits sociaux de la Belle Époque, mais il n’est
vraiment venu à la vie qu’en août 1914, lorsque les
Allemands ont envahi et brûlé la ville de Louvain qui était celle
de la famille. […]
Grand-mère s’est tue, puis avec hésitation elle a dit :
« Les maisons en face de nous brûlaient, nous entendions les
toits calcinés dégringoler sur le sol, des soldats ivres se tirer
les uns sur les autres. L’un d’eux a même tiré sur Louisa, qui
a laissé tomber le berceau. Il y avait partout une fumée
suffocante, nous haletions et tu penses, le bébé… Papa avait le
visage si maculé de suie que je le reconnaissais à peine. Et les
gens de chez nous, ils s’étaient tous enfuis. On n’entendait
plus que crier allemand. Les officiers ne contenaient plus leurs
troupes : les hommes se précipitaient dans les caves et
buvaient et, comme il faisait très chaud, les officiers ont fini par
faire de même. »
Henry Bauchau, L'enfant
rieur. Actes Sud, 2011
La guerre est aussi celle de l'information, et l'information passe mal, dans quelque camp que l'on soit. On l'a vu côté allemand à propos de la prise de Liège, on retrouve des incertitudes du même genre côté français quand des renseignements contradictoires jettent la confusion chez les lecteurs de journaux. Quand bien même il s'agit de communiqués officiels. La voix de la France est parfois balbutiante, le front d'aujourd'hui n'est pas celui qu'on a cru fixé la veille...
Tout le monde se souvient de l'émoi et
du serrement de cœur que nous éprouvâmes tous, en quelque lieu que
nous lûmes, dans les journaux parus le matin du 29 août 1914,
le communiqué officiel :
« La situation de notre front, de
la Somme aux Vosges, est restée aujourd'hui ce qu'elle était hier.
Les forces allemandes paraissent avoir ralenti leur marche. »
Chacun se frottait les yeux,
croyait avoir mal compris, et on se demandait avec angoisse s'il n'y
avait pas là une faute d'impression : Somme
pour Sambre.
Eh quoi ! La veille encore, le
vendredi 28, on annonçait la reprise de notre offensive dans
les Vosges et en Lorraine. Quant à la région du Nord, on constatait
seulement un recul « un peu en arrière » de l'armée
anglaise, attaquée par des forces très supérieures. Et tout à
coup on apprenait que l'ennemi était à Saint-Quentin, c'est-à-dire
à 150 kilomètres de Paris.
Ce fut de la stupéfaction !
Comte
de Caix de Saint-Aymour, La
Marche sur Paris de l'aile droite allemande.
Henri Charles-Lavauzelle, 1916
La nuit a été fraîche le dimanche 30 août en Picardie, où se trouve le lieutenant Lucien Nachin. Un brouillard glacé l'a réveillé à trois heures du matin, les ordres sont eux aussi contradictoires (et comment donc l'information pourrait-elle être cohérente?) : il faut poursuivre le combat qui a stoppé le mouvement de retraite ; ou il faut rester sur place et s'organiser. Puis les événements décident : tirs de l'artillerie ennemie, fusillades... Que faut-il faire une fois le calme revenu ? Le lieutenant décide, puisqu'il ne reçoit pas d'ordres, d'aller les chercher lui-même.
Je me remis en marche mais la force
morale qui m'avait soutenu jusque-là me fit complètement défaut.
J'étais seul au milieu des champs, j'étais très fatigué ou plutôt
courbaturé par mon séjour dans la tranchée, la chaleur tropicale
qui rayonnait sur le sol m'abattait fortement. Et puis, nous étions
encore une fois vaincus, abandonnant le terrain de la lutte où
gisaient des milliers de braves ! J'étais hanté par l'idée
d'un malheur que je ne pouvais définir. Il me fallut faire un
prodigieux effort sur moi-même pour continuer la marche.
J'étais étreint par une angoisse
croissante. Au loin, je vis un groupe d'artillerie qui semblait
marcher dans ma direction, mais quand il fut presque à portée de
voix, il prit le trot et disparut dans un nuage de poussière. Je
mourais de soif. Fatigué comme je l'étais, je devais marcher
lentement car le village de Faucouzy m'apparaissait toujours aussi
lointain. Derrière moi, le village de Le Hérié commençait à
brûler et, à gauche, la position qu'occupaient mes mitrailleuses
était encore une fois l'objet d'un bombardement effroyable.
Lieutenant
Lucien Nachin, Carnets
de route. 2011
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