La légende des Anges de Mons est reprise par un soldat britannique qui, plus tard, raconte à d'autres combattants les événements tels qu'il les a vécus lors de la bataille qui se déroulait dans la ville belge et ses environs. Pour le dire vite, une armée d'anges serait venue prêter main forte à l'armée britannique le 23 août, alors qu'était sur le point d'être balayée par les troupes allemandes. Leur intervention aurait bloqué celles-ci, le temps nécessaire à organiser la retraite.
« Ils
glissaient lentement par-dessus les nuages. La lumière qui
m’éblouissait venait de leurs cuirasses. Elles étincelaient, oh,
elles étincelaient… De vrais petits soleils. Dessous, ils
portaient de longues aubes blanches, immaculées. Ils ne bougeaient
pas, comme les statues dans les églises. Ils flottaient au-dessus du
canal, dans un silence écrasant. J’avais l’impression que leurs
mains nous bénissaient, nous faisaient signe d’approcher. Certains
brandissaient des épées de feu… […] Ils ne bougeaient pas,
pourtant ils avançaient. Leurs longues ailes blanches rayonnaient.
Moi, je crevais de frousse, j’aurais pissé dans mon froc. J’allais
mourir, ils venaient me chercher, je ne voulais pas. Pourtant je
n’arrivais pas à me relever pour fuir. J’étais cloué là,
impuissant. J’aurais voulu crier, appeler à l’aide. Mais rien…
Aucun son ne sortait de ma gorge. Et eux, ils avançaient, ils
avançaient… »
Xavier
Hanotte, Derrière
la colline. Belfond, 2000
(rééd. 2014)
Sur un autre front, à proximité du Luxembourg belge, un régiment français a subi de lourdes pertes dans la matinée du 22 août. Les hommes sont tombés par dizaines, et il faut tenir jusqu'à midi, ordre du général commandant la division. Le caporal Paul Delroze se fait fort de détourner les tirs ennemis en direction d'un champ de betteraves voisin. La situation se renverse, mais ordres et contre-ordres sont la ration quotidienne des armées, on n'a pas fini avec eux.
Le lendemain,
la division dont faisait partie le régiment de Paul continuait son
offensive et entrait en Belgique après avoir culbuté l’ennemi.
Mais le soir le général recevait l’ordre de se replier.
La retraite
commençait. Douloureuse pour tous, elle le fut peut-être davantage
pour celles de nos troupes qui avaient débuté par la victoire. Paul
et ses camarades de la troisième compagnie ne dérageaient pas.
Durant la demi-journée passée en Belgique, ils avaient vu les
ruines d’une petite ville anéantie par les Allemands, les cadavres
de quatre-vingts femmes fusillées, des vieillards pendus par les
pieds, des enfants égorgés en tas. Et il fallait reculer devant ces
monstres !
Des soldats
belges s’étaient mêlés au régiment et, leur visage gardant
l’épouvante des visions infernales, ils racontaient des choses que
l’imagination même ne concevait pas. Et il fallait reculer !
Il fallait reculer avec la haine au cœur et un désir forcené de
vengeance qui crispait les mains autour des fusils.
Maurice
Leblanc, L'éclat d'obus. P. Lafitte, 1917
Dès les premiers jours de la guerre, les soldats ont compris qu'ils n'étaient pas là pour rigoler. Les combats sont violents, les morts s'additionnent les uns aux autres. Et Anne-Marie Garat, qui a placé ses personnages, pendant une année presque pleine, dans le climat de l'avant-guerre, précipite le mouvement en fin de roman, n'oublie personne parmi ceux qu'on a rencontrés, y ajoute les autres dans un effet saisissant qui donne chair à la masse, fait vie des disparus.
Ce
matin du 22 août 1914, à onze heures, ayant tenu, avec
son escouade, deux jours durant la position avancée contre le mur du
cimetière d'Arlon, sous les obus de 420 et les 305 Skoda, Louis
Dubas, soldat d'infanterie, deuxième classe affecté au 7e colonial,
tombe au champ d'honneur. Parti d'Aurillac, le 2 août, le fils
de Renée n'en reviendra pas. Fiancé de la terre et promis des
douleurs, qu'un obus a coupé par le travers en deux, de lui n'en
sera plus nouvelle, ni de son corps ni de son âme, qu'il repose. Non
plus de nouvelles du caporal Didier Fleurier monté vers Charleroi.
De Renaud des Armand à Mons, ni du fils Rougerie, là-bas, des
garçons du Mesnil et de Genilly ; des grévistes aux usines
Bertin-Galay, ou de Renault ; des ouvriers de Panhard &
Levassor et du Bon-Marché, des porteurs des halles, des paysans
partis, parmi les trois cent mille morts du premier mois de guerre,
quoi d'eux il reste ?
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