Quand mon vieux pote C. m’a appelé de Marseille vendredi soir, j’ai d’abord
réussi à être plus bougon qu’il ne l’est lui-même au naturel (un naturel
souvent surjoué, ce que ma bougonnerie n’était pas). J’étais presque assoupi, son
coup de téléphone allait à coup sûr pourrir ma nuit. Mais c’est un pote, n’est-ce
pas, et il avait un service à me demander. Personne d’autre sous la main, explique-t-il,
tout le monde est à Toliara, il faut que tu viennes me chercher à quatre heures
demain matin à Ivato. J’aurai une surprise pour toi.
Je les connais, ses surprises. Mais le laisser tomber ?
La conversation menaçait de prendre des détours sans fin, j’ai fini par dire
que je trouverais une voiture, que je serais là et qu’il n’avait pas intérêt à
oublier la surprise.
Je passe sur le nombre de chauffeurs de taxi qui n’étaient
pas disponibles pour aller à Ivato à cette heure-là, un samedi matin, en fin de
vendredi magnifique pour certains, accueillir un vol d’Air Madagascar aux horaires
improbables.
Enfin, bon, j’étais à l’aéroport à l’heure dite, sous un
crachin froid qui surprend souvent les touristes persuadés d’arriver sous un
climat tropical et qui débarquent en bermuda et chemise à fleurs comme s’il
faisait toujours chaud à Tana.
Et je vois débouler mon C., franchissant au pas de charge
les différents guichets, avec au bras une dame dont la tête ne m’est pas
totalement inconnue.
Je me suis fait une copine dans l’avion, annonce-t-il (je ne
suis pas surpris), je te présente V.T. Je me demande pourquoi je n’ai pas
compris tout de suite qui elle était – la surprise de la voir avec C.,
peut-être. On ne parle que d’elle et de son livre depuis quelques jours, livre
auquel le président français a jugé nécessaire de répondre pendant une
conférence de presse à un sommet de l’OTAN, mettant sur le même pied, pour qui
absorbe les informations à la chaîne, l’Ukraine et les propos rapportés par
V.T.
C. ne connaît pas d’autre journaliste que moi, je suis donc
le meilleur au monde et, en baratinant sa compagne de voyage entre Marseille et
Tana, il l’a convaincue qu’elle devait absolument me rencontrer en arrivant. La
surprise est XXL, pour une fois…
J’ai lu la première page de Merci pour ce moment, pas plus. Je n’en sais que ce qu’on en a dit
et, comme vous, j’ai l’impression d’en tout connaître. A portée de main, de
voix, j’ai V.T. à qui je viens de serrer la pince en prenant l’air blasé, il
suffit, pour obtenir le scoop du siècle, de lui arracher quelques mots de plus
que le « Enchanté » qu’elle m’a servi. Enfin, le scoop de la semaine,
ou du jour, ou de l’heure. Puisque les journalistes français qui rêveraient de la
faire parler de son livre sont maintenant à près de 10 000 kilomètres
d’elle – au contraire de moi, qui me vois déjà signer : « Propos
recueillis par Pierre de Malgachie » un article retentissant.
Je me retrouve au temps où j’étais enrôlé de force dans une
équipe de foot, sans envie, incapable de contrôler un ballon ou de faire une
passe mais souvent, par distraction plus que par art du placement, au bon
endroit pour dévier un tir en direction du but. On m’a souvent prêté des
talents que je n’avais pas…
Cette fois encore, la chance est avec moi. J’engage la
conversation avec V.T. à propos de Madagascar, ça ne mange pas de pain, elle redécolle
dans deux heures vers le sud, on a le temps de boire un verre en toute
simplicité, c’est moi qui régale – ce sera C., finalement. Et, de fil en
aiguille, nous voilà à parler du succès de son livre, puis de son livre.
Bon, si les choses s’étaient passées ainsi, je ne vous
aurais pas raconté ça dans mon blog, vous auriez dû acheter le journal auquel j’aurais
vendu mon exclusivité au prix fort, après avoir fait monter les enchères.
D’ailleurs, C., quand je l’ai retrouvé hier en fin de
matinée, les yeux las et le visage chiffonné après son vol de nuit, n’avait pas
l’air de savoir que V.T. était dans le même avion que lui.
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