Metin Arditi est un
romancier tardif mais, depuis Victoria-Hall
paru en 2004, il n’arrête pas. La confrérie des moines volants, qui vient de reparaître en poche, est sa neuvième
fiction. Elle traverse plusieurs époques, de 1937 à 2002, de l’URSS à Paris et
retour en Russie. Ce roman est nourri d’une connaissance très complète de la
religion orthodoxe, de l’importance des icônes et de la répression qui
s’abattit sur les monastères ainsi que des formes prises par la résistance des
croyants. Metin Arditi fait également preuve d’une parfaite maîtrise du jeu
entre le réel et l’imaginaire, comme on va le voir tout de suite.
Dans une note au lecteur, au début du roman, vous
fournissez quelques repères dans la vie de Nikodime Kirilenko, un ermite qui a
sauvé des trésors d’art sacré. A-t-il vraiment existé ?
Non, j’ai tout inventé, Nikodime et les
confréries. Certains journalistes, qui n’ont pas compris cela, m’ont reproché
d’avoir seulement raconté une histoire vraie… Mais je n’ai pas inventé le fond
historique, les massacres, et je n’ai pas inventé non plus le fait que le
peuple russe est très courageux, très entier, qu’il a beaucoup souffert. Je
suis parti de l’idée qu’il était logique que de ce peuple surgisse un
personnage comme Nikodime. C’était dans l’ordre des choses.
La première époque du roman est restituée avec
précision. Vous êtes-vous documenté ?
Oui, énormément. J’ai passé six ou huit mois à
lire et à prendre des notes, à la fois sur l’époque, les icônes, les
techniques, l’Eglise, les rites… Et sur ce qui s’est passé, aussi, dans la
diaspora russe, car une partie importante se passe à Paris. Je voulais
comprendre comment ces gens ont réagi, en France, à ce qui se passait dans leur
pays.
La partie parisienne et contemporaine du livre
fournit un secret essentiel qu’un père a caché à son fils. Est-ce imaginable
dans le contexte, ou bien c’est pour les besoins du roman ?
Je pense que c’est imaginable. Lorsqu’André –
Andreï – cache la vérité à son fils, il est fidèle à l’héritage de sa mère,
puisque celle-ci lui a confié un secret énorme quand il était petit, quand elle
lui parlait en russe et qu’il faisait semblant de dormir. Cet homme a grandi
dans le secret, qui est devenu quasiment une seconde nature pour lui. Il
n’avait pas envie de charger son fils de ce poids, comme lui-même l’avait été.
Pourtant, il lui fait don de ce secret, après sa
mort, d’une manière détournée…
Oui, il a caché un cahier dans un endroit où son
fils devait le trouver. Et peut-être espérait-il que son fils aille en Russie.
Vous parlez abondamment des icônes. C’est un art
qui touche au divin ?
C’est une spiritualité très concrète. Pour moi,
l’art nous permet de nous comprendre nous-mêmes. C’est une façon paradoxale de
se regarder soi-même. Paradoxale, parce qu’on le fait à travers le prisme d’un
personnage, d’un objet… C’est une manière qui s’inscrit dans le mouvement
profond de ce qui nous lie à autrui. En cela, l’art est le fondement même d’une
société.
Vous tirez les fils à travers des personnages qui
se rejoignent et vous dessinez un véritable jeu de piste. Vous aimez le
romanesque ?
J’aime
beaucoup les contes. Je viens de Turquie et, même si j’ai passé peu d’années
là-bas, ce doit être inscrit quelque part dans mon ADN. Le goût du conte est
oriental mais il est aussi universel. On ne peut se comprendre qu’à travers des
histoires, on ne se comprend pas à travers la philosophie. Mais la philosophie
doit être, évidemment, très présente dans les histoires, avec leurs courbes et
leurs creux, qu’elle sous-tend sans aucune tension. Il faut qu’elle soit, comme
on dit, moulue très, très fin, comme de la poudre de marbre et qu’elle donne sa
structure à l’histoire.
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