Dans les années 1970, Jean-Edern Hallier, qui n'en était pas à une facétie près, avait imaginé un Prix anti-Goncourt, mettant tout son poids - moindre cependant que l'idée qu'il s'en faisait - dans la réputation d'un prix qui allait enfin - on allait voir ce qu'on allait voir! - mettre fin à toutes les magouilles des grandes récompenses d'automne, jurés achetés et éditeurs corrupteurs, dont il avait souffert au point de n'avoir jamais lui-même reçu le Goncourt.
L'idée n'était pas si idiote, même si sa mise en œuvre ressemblait à celui qui l'avait eue. Emporté, brouillon, légèrement (?) mythomane, il avait été un excellent écrivain débutant et s'était transformé en activiste de deuxième catégorie. On ne se souvient que d'un lauréat de l'anti-Goncourt, Jack Thieuloy, et encore est-ce surtout parce qu'il avait été mêlé à un attentat qui aurait pu être drôle s'il avait été pâtissier mais qui, moins rigolo, avait consisté à placer un engin incendiaire sur le palier de la douce Françoise Mallet-Joris, académicienne Goncourt.
Tout ceci pour dire que, devant le scandale de l'absence (comme s'il n'y avait qu'un absent, faisait justement remarquer Pierre Assouline) d'Emmanuel Carrère dans la première sélection du Goncourt, le deuxième Prix littéraire du Monde est venu mettre du baume au cœur d'un romancier qui n'avait pas besoin de cela pour être en tête des meilleures ventes de romans depuis la sortie précipitée de son livre. (Pour les distraits, je rappelle que l'ouvrage de Valérie Trierweiler ne se présente pas comme un roman mais comme un témoignage - un Témoignage, lisais-je même tout à l'heure sous la plume d'une éditrice.)
C'est donc l'avènement du Royaume, un "mix" d'autofiction et de pur roman bâti sur du roman - même si Luc ne présente pas son évangile comme un roman, il a en a bien des caractéristiques, ainsi que le démontre brillamment Emmanuel Carrère.
Car Emmanuel Carrère est brillant, bien qu'il n'échappe pas toujours au défaut de se regarder écrire. Je ne peux donc manifester qu'un enthousiasme modéré devant son livre - et esquisser un demi-sourire devant la récompense qui vient de lui être attribuée.
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