Le Figaro annonce, tardivement, ce qu'on pressentait: Alain-Fournier est mort le 22 septembre.
Nous le savions disparu depuis des semaines, mais espérions toujours. Aujourd'hui, des camarades reviennent, qui l'ont vu tomber, frappé d'une balle au front. Il avait vingt-huit ans...
Il y a juste un an, Alain-Fournier donnait sa première œuvre, le Grand Meaulnes, mélange singulièrement heureux de rêve et de vérité, dont l'extraordinaire fraîcheur surprit comme une source au milieu du désert. Ce n'était qu'un début. Plusieurs ouvrages depuis l'occupaient, déjà plus fermes, plus maîtres d'eux; il tendait au théâtre; et ses amis sentaient que, le jour prochain où il allait trouver l'équilibre dans cette alliance du rêve et du réel qui faisait le fond de son art, la France aurait un second Musset. Espoirs perdus!... Le Grand Meaulnes sera une des œuvres devant qui l'humanité pleure éternellement le génie fauché dans sa fleur, - comme Carmen, comme les poèmes de du Bellay.
Alain-Fournier était par excellence de ces êtres de choix qu'on voudrait soustraits au danger; en voyant ses dons merveilleux, sa grâce, sa beauté d'âme, on ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était de ces biens qu'un pays doit défendre et non exposer. Lui pensait autrement. Sévère et résolu sous ses dehors de page, plaçant au-dessus de tout le mépris de la mort, il voulait lutter lui-même pour sa race, pour ceux qui tirent sa culture. Il est tombé un soir, à la tête de ses hommes, disputant le terrain pied à pied. Puissent ceux qui le pleurent à son foyer trouver quelque adoucissement à leur peine dans la suprême beauté de cette mort, de ce jeune poète tombant en défendant le sol de ceux qui l'avaient fait ce qu'il était!
Julien Benda.
Hédi Kaddour, dans Waltenberg, remet en scène les déclarations qui entourent cette mort.
« Le lieutenant est mort ! »
Puis beaucoup de phrases, Alain-Fournier est mort, la littérature
blessée à jamais, la fin de notre enfance, les arbres de Sologne sont en deuil,
la communale est morte, la salle de classe à goût de foin et d’écurie, tout, la
maison rouge, les vignes vierges, la lampe au soir, Noël, ballots de
châtaignes, tout, les victuailles, enveloppées dans des serviettes, et les odeurs
de laine roussie quand un gamin s’est réchauffé trop près de l’âtre, pas de
corps identifié. La dépouille de Fournier manquait à l'appel.
« Henri Alban Fournier (dit Alain-Fournier) meurt frappé au front », affirme
son beau-frère Jacques Rivière qui tient cela d’un homme.
« Il tombe frappé au front », raconte Paul
Genuist.
« Une balle au front, dans une action héroïque »,
précise Patrick Antoniol.
Saint-Rémy, trois semaines après Monfaubert, la balle au
front, c’est l'ordonnance de Fournier qui le dit, un nommé Jacquot, il a tout
vu :
« Au front, tué net. »
Fournier avait écrit :
« J’ai choisi une ordonnance, un zouave, le genre
crapule et débrouillard, campagnes au Maroc, deux dents démolies par les
balles, je crains qu’il ne soit hâbleur. »
Hédi Kaddour, Waltenberg. Gallimard, 2005
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