Pendant qu'Aurélien Bellanger recevait le Prix de Flore pour L'aménagement du territoire, Jean-Pierre Orban se voyait couronné par le Prix du Premier Roman pour Vera, sélectionné aussi pour le Prix Rossel. Car il est belge... Je l'avais interrogé sur son livre, quelques semaines avant sa sortie.
Il vient de loin, le premier véritable roman de Jean-Pierre
Orban qui avait publié en Belgique, il y a plus de vingt ans, un recueil de
nouvelles, Chroniques des fins, et un
« micro-roman », Les rois
sauvages. Le long silence rompu par Vera
ne correspond pas à un abandon de l’écriture. Au contraire. L’écrivain était plongé
dans un immense travail, dont la matière l’a en quelque sorte débordé : « Je me suis enfoncé dans une
recherche, au départ sur la rencontre entre Stanley et Livingstone, qui devait
aboutir à un projet romanesque assez ambitieux, devenu monstrueux. J’ai remis
en question mon rapport avec le roman, j’ai lu des théories sur le sujet. A
cette époque, je vivais à Londres, j’avais à peu près coupé les liens avec la
Belgique et je me suis trouvé noyé par ce projet. Puis je me suis relancé dans
l’édition, ce qui m’a donné l’impression de reprendre pied dans le monde réel.
J’étais trop dans l’écriture. Ensuite sont venues des nouvelles, du théâtre. Et
Vera est née… »
On semble très loin de la rencontre entre Stanley et
Livingstone. C’est pourtant de là, par un cheminement complexe, que vient cette
Italienne de Londres, où ses parents sont installés à la manière de
compatriotes partis chercher du travail ailleurs – en Belgique, pour d’autres.
Elle a 11 ans en 1933, grandit en observant, fascinée, le pouvoir croissant de
Mussolini dans son pays d’origine, trouve en Nunzia Chiegi une missionnaire
répandant dans Little Italy, quartier
peuplé d’Italiens, la bonne parole fasciste. Vera participe à un voyage
organisé afin que la jeunesse, fer de lance du rayonnement italien à
l’étranger, admire les réalisations du Duce
– qu’elle rencontre au cours d’une cérémonie.
La guerre changera tout pour Vera : elle perd son père,
arrêté comme ennemi potentiel et mort dans un naufrage au cours de son
transfert vers l’île de Man. Elle perd aussi la foi dans la valeur symbolique
d’une Italie conquérante, pour être séduite par la langue française et quelques
Français, dont l’un sera probablement le père de son fils.
D’un épais manuscrit où se croisaient des histoires
multiples, à des époques diverses, Jean-Pierre Orban a envisagé de faire
plusieurs ouvrages : « J’ai
divisé l’ensemble en une série de romans dont chacun porterait le nom d’un
personnage. Et cet ensemble, qui s’appelle dans mon esprit Toutes les îles
et l’océan, reste le projet final. Vera
n’était pas le personnage le moins important de l’histoire, mais c’était celui
sur lequel j’avais le moins écrit. J’avais en tête la trame de son histoire,
j’avais quelques pages sur elle, surtout le début. Elle est devenue un
personnage et une histoire en elle-même, jusqu’à engendrer un texte qui était
d’ailleurs, en volume, le double de celui-ci. Il y avait une partie africaine,
qui viendra plus tard. »
Dès le début du roman est posée une question qui traverse
tout le livre : celle de la langue. Winston Churchill, à propos des
Italiens installés en Grande-Bretagne, donne un ordre : Collar the lot – attrapez-les tous.
L’aurait-il donné de la même manière en italien ? S’il avait dit : Acciuffateli tutti, le père de Vera
aurait-il fini par le fond ? Le romancier y voit un point
fondamental : « Ce qui sauve
Vera, c’est la langue. Je crois que la langue est un pays, la seule terre ferme
possible et la seule identité dont on peut difficilement se détacher. Je suis
très intéressé par les passages d’une langue à une autre, comme chez Kundera ou
Beckett, et je me demande quel est leur rapport intime avec la langue d’origine.
On ne dit pas la même chose dans des langues différentes. »
L’ampleur du projet littéraire dont est issue Vera
donne à celle-ci une épaisseur peu commune. On la devine traversée de thèmes
qui seront développés ailleurs, plus tard. Un peu de patience, donc.
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