samedi 8 novembre 2014

La sélection du Prix Rossel

C'est toujours un moment attendu par les écrivains belges, du moins ceux qui n'ont jamais reçu le Prix Rossel: la sélection des finalistes, publiée ce matin par Le Soir, quelques jours après la réunion du jury - six écrivains: Pierre Mertens, président, Jean-Luc Outers, Isabelle Spaak, Michel Lambert, Thomas Gunzig et Ariane Le Fort: deux libraires: Christelle Warnauts et Françoise Rihoux; un journaliste: Jean-Claude Vantroyen, responsable des pages livres du Soir (mon chef, en somme); et le chef du service culturel du même quotidien, Daniel Couvreur (mon couvre-chef), dans le rôle de secrétaire du jury.
Une septantaine de romans et recueils de nouvelles ont été, explique Jean-Claude Vantroyen, soumis au regard critique de ce jury. Restent cinq, que je n'ai malheureusement pas eu le temps de lire tous (le manque de sommeil a fini par faire son effet), j'en ai lu trois et je ne suis qu'au tiers des deux derniers. Je ne vais donc, aujourd'hui, vous donner que les présentations des éditeurs sur ces cinq livres - et j'y reviendrai avant la décision finale, peut-être même vous dirai-je pour qui je voterais si j'étais dans ce jury...
Dans l'ordre alphabétique des auteurs, voici donc...


De Marilyn, on connaît la star hollywoodienne, la sex-symbol. On a beaucoup écrit sur sa vie privée qui peut se résumer en une succession d’échecs. On croit connaître son insatisfaction récurrente, tant dans sa vie professionnelle que dans sa relation au monde. Mais tous ces fragments de vie comme des flashes superposés (fragments écrits, filmés, photographiés…) plutôt que de révéler la personne, font écran au sensible et durcissent le mythe – jusqu’à sa mort, tragique (suicide? overdose? assassinat?) dont elle est dépossédée, et est source de nouvelles fictions…
La force de cette nouvelle fiction autour de Marilyn Monroe se trouve dans la capacité de l’auteure à inventer l’écriture qui redonne chair au sujet, et qui dote l’héroïne d’une voix neuve, sensible, intelligente. Ce portrait de l’actrice, de cette star “antistar”, est d’une telle densité qu’il nous offre par la même occasion le portrait en creux d’une époque, d’un système, et des homme qui forge “malgré elle” ce que l’actrive devient et contre quoi, dans un même temps, elle se rebelle… Un roman qui semble écrit de la fracture même de Marilyn Monroe…


Le jeune Isookanga, Pygmée ekonda, piaffe dans son village de la forêt équatoriale où un vieil oncle prétend régir son existence. Depuis qu’il a découvert l’Internet et les perspectives d’enrichissement immédiat que promettent mille variantes de la mondialisation, il n’a plus qu’un objectif: planter là les cases, les traditions, la canopée millénaire et le grincheux ancêtre pour monter à Kinshasa faire du business. Il débarque donc un matin dans la capitale, trouve l’hospitalité auprès des enfants des rues et rencontre Zhang Xia, un Chinois qui fait commerce de sachets d’eau potable et dont il devient l’associé. L’avenir est à lui!
Pendant ce temps, à Kinshasa et ailleurs, le monde continue de tourner moyennement rond : des seigneurs de guerre désœuvrés aux pasteurs vénaux, des conseils d’administration des multinationales aux allées du Grand Marché, les hommes ne cessent d’offrir des preuves de leur concupiscence, de leur violence, de leur bêtise et de leur cynisme.
Qui sauvera le Congo, spolié par l’extérieur, pourri de l’intérieur? L’innocence et les rêves, les projets et la solidarité. La littérature, bien sûr, quand elle est comme ici servie par un conteur hors pair, doté d’un humour caustique et d’une détermination sans faille.

André-Joseph Dubois, Ma mère, par exemple

«Ni biographie, ni fiction»: c’est à une traversée du XXe siècle que nous convie André-Joseph Dubois avec ce cinquième livre. En suivant sa mère, «par exemple», de la Belle Époque aux années 2000… Et c’est l’Histoire vécue par les anonymes qui défile. Deux guerres mondiales, les Trente Glorieuses, la société de consommation, la transformation de nos quotidiens et de nos villes, tant de choses qui ont jalonné le siècle. Et en filigrane, cette question : qu’est-ce donc qu’avoir été une femme «alors»?
Sous le scalpel du styliste, l’émotion affleure continuellement : c’est que, pour un fils, une mère n’est jamais une femme ordinaire. Et celle-ci n’a pas ménagé ses luttes, en dépit du «monde qu’on lui proposait», jusqu’à enfin réaliser le rêve qu’elle poursuivait depuis l’enfance.

Hedwige Jeanmart, Blanès

«Et si on allait à Blanès? C'était mon idée. Je l'avais lancée le samedi 10 mars vers onze heures du matin, après mes deux cafés, consciente de ce que je disais et aussi du fait que je le disais pou lui faire plaisir, sans soupçonner une seconde que cette phrase innocente serait celle qui me ferait chuter tout au fond du gouffre où je suis. Pourtant des phrases, j'en ai dit. J'ai trop dit je t'aime alors que je savais que cela le fatiguait, j'ai dit des choses intelligentes aussi, puis des conneries comme tout le monde. Mais je n'aurai pas survécu à cette phrase-là. Samuel a répondu pourquoi pas? Ça te dirait? J'ai dit oui ça me dirait, on n'est jamais allés à Blanès, ce n'est pas si loin, une heure en voiture depuis Barcelone, à peine plus. On s'est mis d'accord, on irait le lendemain. Le soir, on s'est couchés en chien de fusil dans des draps blancs comme un linceul, j'ai respiré son odeur du soir, un peu âcre, et senti la chaleur de sa cuisse sur laquelle j'avais posé la main. Je me suis endormie heureuse sûrement, sans doute, pourquoi pas? Je ne savais plus bien à présent, et le matin du dimanche 11 mars, en fin de matinée, nous avons pris chacun un livre et nous sommes partis pour Blanès.»

Jean-Pierre Orban, Vera

Londres, 1930: Vera vit à Little Italy avec ses parents, Ada et Augusto, immigrés italiens. Rapidement la jeune fille se laisse enrôler dans une organisation à la gloire de Mussolini. Elle croit naïvement que l’idéologie fasciste lui forgera une identité. Mais l’arrivée de la guerre chamboule ses espérances. Écartelée entre sa langue maternelle et celle du pays d’adoption, Vera se laissera emporter par d’autres dérives. Puis elle croira enfin venu le temps de construire le récit de sa vie et de l’Histoire. De trouver sa vérité, elle dont le prénom signifie «vraie», et de la transmettre…
Peuplé de personnages décrits à l’encre noire, ce roman bouleversant nous parle d’identité et de racines. Et de l’espoir, parfois déçu, de les dépasser.

Deux femmes, trois hommes. Un éditeur belge, quatre français - dont deux seulement sont parisiens (si l'on fait mine de croire encore qu'Actes Sud ne l'est pas).
Faites vos jeux.
Ou plutôt, faites comme moi: lisez...

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