Mots de guerre des jeunes filles
Les historiens nous content que les femmes gauloises
suivaient les guerriers au combat, exaltant le courage des braves et flagellant
les timides. Trois mois de lutte ont fait renaître chez les femmes de France la
mentalité héroïque de leurs aïeules. Voici quelques « mots de guerre »
jaillis de lèvres de jeunes filles, et que j’ai pieusement notés.
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Lineke (diminutif affectueux d’Aline) est toute blonde et
toute rose. Elle a grandi dans la Flandre catholique. Sa petite âme simplette
et pure réprouvait naturellement la violence. Elle ne concevait que pardon, excuse,
miséricorde, même pour les pires coupables.
Je la rencontre. Est-ce pour la taquiner ? Peut-être ;
mais je lui dis :
— Vous avez lu…, à tel endroit…, cette hécatombe d’Allemands ?
Ses paupières palpitent. Elle pâlit un peu en murmurant :
— Et des nôtres ?
— Oh ! beaucoup moins. La proportion de un à cinq.
Son visage s’éclaire. Elle joint les mains, et fervente :
— Que Dieu soit béni !
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Me voici sur le quai de la gare d’évacuation d’A… Un train
de blessés vient de passer ; un autre est signalé. Durant l’attente, j’écoute
deux jeunes affiliées à une société de secours, attachées à cette dure besogne
que l’on dénomme : « service des trains ».
Je les ai remarquées, un instant plus tôt, distribuant
vivres, cigarettes, chocolat, sucre, etc., aux dolents voyageurs des trains sanitaires,
avec le tact de braves fillettes de France : le nécessaire aux blessés
allemands, les gâteries aux nôtres. Maintenant elles causent :
— Oh ! cette Mme Z… Quelle ridicule coquetterie !
Être infirmière de la Croix-Rouge et porter aux oreilles des diamants comme des
bouchons de carafe !
— Naïve, va ! C’est pour dissimuler les oreilles
du roi Midas.
— Elle les a si longues que ça ! Je n’ai pas remarqué.
— Personne ne remarque. On ne voit que les diamants.
Le convoi annoncé entre en gare. Les gentilles « servantes
des trains » courent à leur devoir. Soudain, un cri. L’une a reconnu son fiancé,
la tête enveloppée de linges. L’éclat d’un shrapnell lui a labouré la joue,
traversé la mâchoire.
Le train repart. L’amie enlace sa compagne qui regarde dans
le vague, droit devant elle. Consolatrice, elle prononce doucement :
— Sois courageuse, ma pauvre chérie. Peut-être, il ne
sera pas défiguré.
La fiancée secoue les épaules, et redressée en une fierté
soudaine :
— Défiguré ! Il aura la médaille victorieuse de 1914 ;
on ne verra qu’elle. Cela vaut bien un diamant.
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Sur mon bureau, je trouve la lettre d’une autre fiancée.
Comment y est-elle venue ? Ceci importe peu ; on sait ma dévotion à
Mme de Sévigné et au genre épistolaire. oilà tout.
Le futur de la signataire s’est « embusqué » comme
conducteur de son auto 24 H.P.
Ancien élève cancre, citoyen très médiocre, il a craint sans
doute d’être mauvais soldat.
Bref, il fut embusqué. En brillant uniforme, on le vit
continuellement rouler en quatrième vitesse. Toute affaire cessante, il volait
sans trêve… nulle part.
Or, revanche d’une immanente justice, cette course effrénée
vers des buts inutiles a failli le mener à la mort.
L’auto a fait panache
(ironie cruelle pour un garçon qui en a si peu). Résultat : bassin fracturé,
une jambe brisée.
Un coup moral devait s’ajouter à ce dégât matériel. Celle
dont l’éclopé briguait la main lui adressa le joli billet dont je transcris cet
extrait :
« Monsieur Albert,
» Je fais, croyez-le, des vœux sincères pour votre
prompt rétablissement ; mais je ne puis me tenir de vous féliciter. Une
blessure de temps de guerre est presque une blessure de guerre. » Etc.,
etc.
Je crois que le mariage ne se fera pas.
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Aux Champs-Elysées, près du Palais de Glace, où elles
fréquentaient peut-être autrefois, d’élégantes jeunes personnes stationnent. Que
disent-elles ?
— Aucune lettre de mon frère qui est là bas !
— Et nous donc. Rien de mes deux frères, ni de mon
cousin. À la maison, nous sommes folles d’inquiétude !
Une nouvelle venue se mêle au groupe. Son arrivée motive cet
appel de tendre et inconsciente solidarité :
— Voici Laure. Laure, remonte-nous un peu, toi qui n’as
personne au feu.
L’interpellée les regarde. Elle a un sourire mélancolique,
puis d’un ton très simple :
— C’était injuste, aussi j’y vais moi-même, ou du moins
le plus près possible.
— Toi-même ?
— Oui, mon tuteur, le major L…, m’admet à l’hôpital
temporaire de… (le nom d’une localité de l’Aisne). Je pars demain.
Et toutes, oublieuses de l’angoisse, s’embrassent avec
effusion.
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* *
Rue des Martyrs à présent. Deux fillettes, arpètes en
chômage forcé, ascensionnent vers Montmartre.
— Tu parles, explique l’une avec cet inimitable accent
de Paris, un blessé, envoyé en convalescence ; pas le rond et pas de train
pour son patelin avant ce matin. Je ne pouvais pas le laisser en chandelle dans
la rue.
— Bien sûr, seulement…
— Quoi ? Je l’ai monté chez nous. M’man lui a dit :
« Repose-toi, mon gars. Colle-toi dans le plumard. Nous, on va à l’hôtel. »
Et on s’est débiné dare-dare pour qu’il ne s’égosille pas à remercier.
La compagne de la narratrice marque un geste admiratif :
— C’est bath ! Mais l’hôtel par le temps qui court…
— T’es bête. L’hôtel… une frime ! On ne travaille
pas, c’est pas l’instant de refiler quarante sous au logeur !
— Alors ?
— Alors ? La mère et moi, on a dormi dans l’escalier…
comme des reines !
Tu as raison, petite arpète, tu es une reine de cœur.
Paul d’Ivoi.
Votre blog est d'une belle beauté par sa sobriété qui met encore plus en lumière la finesse de l'analyse de l'œuvre de Lydie Salvayre que j'avais négligemment rejetée à la découverte de son premier roman.
RépondreSupprimerJe pose le raccourci URL de votre blog sur mon Bureau pour y revenir plus tardivement pour une relecture plus attentive.
Merci !