Avec Vidiadhar Surajprasad Naipaul disparaît, à 85 ans, une des grandes voix de la littérature mondiale. Prix Nobel de littérature en 2001, personnage controversé mais écrivain incontestable par la puissance évocatrice de son oeuvre ainsi que par les questions qu'elle pose, il a publié depuis 1957 une bonne trentaine d'ouvrages, entre fictions et essais souvent nourris de ses nombreux voyages, entre monde post-colonial et quête des origines. Voici quelques souvenirs de lectures.
Les hommes de paille (1967, trad. par Suzanne V. Mayoux, 1981)
« Pour moi, la
politique n’a jamais été guère plus qu’un jeu, une intensification de la vie, un
prolongement de l’esprit de célébration qui était le mien lors de mon retour
dans mon île. » Les hommes de
paille raconte donc une aventure personnelle et collective, à travers l’histoire
d’un homme qui, venu des Caraïbes, passe du temps à Londres, revient chez lui, va
de succès en succès, se lance dans la politique, puis revient à Londres… Il y a
beaucoup d’ironie dans ce portrait qui est aussi celui d’une société qui se
cherche. Naipaul a l’art de placer, au sein de ses livres, des réflexions qui
naissent dans la bouche de ses personnages et dont on se demande souvent si
elles leur appartiennent totalement ou si elles sont celles de l’auteur.
En tout cas, nous les recevons comme autant de questions sur
le sens d’une vie inscrite dans l’histoire.
Et finit par se révéler, dans le tableau ainsi dessiné, un
peu de lumière.
A la courbe du fleuve (1979, trad. par Gérard Clarence, 1982)
L’Afrique est multiple et le destin de ses habitants, soumis
aux accidents de l’Histoire. Les personnages de ce roman de Naipaul, et en
particulier Salim, le narrateur, traversent des situations dans lesquelles la
finesse de la mise en scène évite tout manichéisme. Dans la succession des
événements, ou dans les voyages de Salim, des vérités apparaissent petit à
petit, complexes jusqu’à sembler parfois contradictoires.
Salim est d’origine indienne, mais il a vécu sur la côte
orientale de l’Afrique. Puis, un jour, il s’est tourné vers l’intérieur pour
pénétrer au cœur du continent. Après les Arabes, après les Européens, une autre
forme de pouvoir s’est en effet mise en place là où ses parents s’étaient
installés, et le sang coule. Il coulera ailleurs aussi, dans un tourbillon
auquel il est difficile d’échapper. Naipaul invente certains lieux, cite
parfois des endroits réels. Mais la conclusion de tout ceci n’incite guère à l’optimisme.
Le regard de l’Inde (2007, trad. par François Rosso, 2010)
L’Inde et Vidiadhar Surajprasad Naipaul, c’est une longue
histoire qui commence bien avant sa naissance. Ses origines familiales trouvent
leurs racines en Inde, d’où ses ancêtres avaient émigré vers Trinidad, dans les
Caraïbes. Mais, son père ayant perdu son père quand il était bébé, la mémoire
du passé ne s’est pas transmise. « Je
souffre de ce manque », dit-il dès les premières lignes du Regard de l’Inde, où il revient vers sa « métropole »,
comme il l’appelle, après en avoir déjà parlé dans d’autres livres comme L’Inde brisée ou L’Inde : un million de révoltes.
Le manque n’a pas été comblé. « La première migration, depuis l’Inde, avait eu lieu entre 1880
et 1917. Je suis né en 1932. La plupart des adultes que j’ai connus dans mon
enfance devaient se souvenir de l’Inde. Mais on n’en parlait jamais. »
Il y eut bien, une fois lancé le mouvement de libération, des discours
politiques. Mais, sur l’Inde « plus
domestique et plus intime d’où nous étions venus », rien. Malgré la
persistance, dans la vie quotidienne, de la religion, des rites, des fêtes…
Interroger ceux qui connaissaient l’Inde posait des
problèmes insolubles. Soit ils en venaient mais n’avaient rien à en dire parce
qu’ils avaient oublié. Soit ils y étaient allés et, dans ce cas, avaient relevé
des tonnes de détails, comme lui-même à partir de 1962 et de son premier voyage,
mais avec leur regard venu d’ailleurs : « les gens qui rapportaient ces histoires étaient le produit de
leur naissance à l’étranger, de leur éducation et de leurs voyages ». Ni
les uns ni les autres n’étaient Le regard
de l’Inde.
C’est finalement dans un livre que Naipaul imagine trouver
les réponses à toutes ses questions. L’autobiographie d’un homme qui était
parti en 1898 pour le Surinam et qui, dans les années 1940, avait raconté sa
vie en hindi. Le sentiment religieux domine dans La lumière de la vie, de Rahman Khan. Il « n’a pas grand-chose à raconter sur l’Inde en dehors de sa
scolarité et de sa vie familiale. […] Il lui manque le sentiment du monde
physique autour de lui. »
Les seuls éléments concrets à ne pas être contaminés par une
croyance envahissante, à la lumière de laquelle la plupart des faits sont
interprétés, consistent dans des remarques sur la qualité de la nourriture
servie ici ou là.
Naipaul ne cache pas que ce livre, dans la lecture duquel il
avait placé beaucoup d’espoirs, l’a déçu. Il n’y a en tout cas pas trouvé ce qu’il
y cherchait.
Et, dans un sens, tant mieux. Car le voici contraint de se
tourner vers une figure que nous connaissons mieux et dont il va relater l’existence
d’une manière inédite. Mohandas Gandhi, né en 1869, cinq ans avant Rahman Khan,
va-t-il enfin fournir Le regard de l’Inde ?
Gandhi a écrit lui aussi son autobiographie. Le livre est
bon. Même : « il y a assez de
magie dans la première partie pour que cette autobiographie soit considérée
comme un chef-d’œuvre. » Naipaul, fasciné, semble oublier l’obsession
qui l’a fait relire Gandhi. Il se passionne pour le personnage, complète l’autoportrait
par la description donnée par Nehru : « Elle
nous montre de quelle trempe était ce sage ou ce saint au dos nu. Ses yeux sont
doux et profonds, brillants d’énergie et de détermination. » Il est
humble mais peut tenir des discours presque dictatoriaux…
Pour autant, la transposition de l’Inde mythique en Inde quotidienne n’est toujours pas accomplie. Peut-être parce qu’elle est impossible. L’écart entre les deux est immense. C’est la mère de Naipaul qui en prendra la mesure, dans les dernières pages d’un livre dont la densité égale la brièveté. Avons-nous appris quelque chose sur l’Inde ? Pas sûr. Mais Naipaul semble tout à coup plus proche, avec ses incertitudes.
Pour autant, la transposition de l’Inde mythique en Inde quotidienne n’est toujours pas accomplie. Peut-être parce qu’elle est impossible. L’écart entre les deux est immense. C’est la mère de Naipaul qui en prendra la mesure, dans les dernières pages d’un livre dont la densité égale la brièveté. Avons-nous appris quelque chose sur l’Inde ? Pas sûr. Mais Naipaul semble tout à coup plus proche, avec ses incertitudes.
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