Sus aux clichés dans le premier roman d’Estelle-Sarah Bulle,
Là où les chiens aboient par la queue
– un autre premier roman de femme très remarqué ces dernières semaines, et pour
lequel l’écrivaine recevra, le 8 septembre à Nancy, le Prix Stanislas.
Les
Antillais, les Guadeloupéens en particuliers, ne forment pas, comme on le pense
trop souvent avec un sens abusif des étiquettes, une communauté où tout le
monde pense et réagit de la même manière – pas plus qu’aucun autre peuple du
monde d’ailleurs. Les individualités dominent, et celles de ce roman sont assez
fortes pour faire entendre des voix divergentes portées par une langue qui se
permet quelques audaces.
Une jeune femme interroge sa tante, pour comprendre le passé
d’où elle vient, même si elle est maintenant ailleurs. Le mouvement est la vie,
certes, mais il modifie tant les perceptions que les points de repère s’effacent,
et qu’il peut devenir nécessaire de les restaurer. La tante s’appelle Antoine,
ce qui n’est déjà pas banal, elle a vécu tous les changements de société face
auxquels chacun a réagi à sa manière – et elle en particulier, fort caractère
qui la prépare à ne pas avaler sans réfléchir ce qui semble évident. Ainsi de l’espèce
de trahison que constituerait le manque de solidarité entre Antillais. « Mais si tu mets dix personnes dans
une salle d’attente, tu crois qu’ils vont finir par former une grande et belle
famille ? La Guadeloupe, c’est comme une salle d’attente où on a fourré des
Nègres qui n’avaient rien à faire ensemble. Ces Nègres ne savent pas trop où se
mettre, ils attendent l’arrivée du Blanc ou ils cherchent la sortie. »
Le mystère des noms cachés est moins percé qu’approché, car
la réalité est toujours double et une partie doit en rester secrète : « C’est comme un petit trésor caché qui
te protège. » Des pans entiers d’une culture menacée surgissent ainsi
aux moments les plus inattendus, de même que les paradoxes apparents dans lesquels
on se trouve quand on a choisi (ou non, d’ailleurs) d’exister dans plusieurs
mondes à la fois, au risque de ne plus très bien savoir ni d’où on vient ni qui on est. Aucune démonstration dans le propos, mais beaucoup d’affirmations qui
ne valent pas pour des généralités : le cas particulier suffit bien à
nourrir une histoire à rebondissements dans la traversée de plusieurs époques.
Citation
On entendait dire qu’en métropole, c’était la croissance et le plein emploi. Ici, les usines fermaient les unes après les autres. La banane et le rhum antillais n’étaient plus rentables. Il y avait de nouvelles activités dans l’île, car les gens ne peuvent pas rester simplement à regarder les bateaux passer. Mais les immeubles qui fleurissaient dans Pointe-à-Pitre, le tourisme et l’électricité, c’était le fait d’entreprises réservées aux Blancs qui avaient les moyens d’investir depuis la métropole, directement par-dessus nos têtes.
ESTELLE-SARAH BULLE
Liana Levi, 282 p., 19 €, ebook, 14,99 €
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