On se souvient d'un temps où Robert Laffont lui-même, avec quelques autres éditeurs qui l'avaient suivi dans son coup de gueule, pestait contre un système des prix littéraires français dont les livres qu'il sortait pourtant régulièrement à la rentrée étaient presque systématiquement écartés. S'il était encore parmi nous, il pourrait remettre ça. Car il y a cinquante ans cette année que Bernard Clavel recevait l'unique Goncourt de la maison pour Les fruits de l'hiver.
Est-ce l'effet de cet anniversaire? Une marque d'intérêt pour les romans de la rentrée publiés à l'enseigne de Robert Laffont vient de surgir sous la plume d'un juré du plus célèbre (encore et malgré tout, oui) prix littéraire de l'automne. Dans sa présentation de ce qui nous attend (dès la semaine prochaine, déjà!), La rentrée de Pierre Assouline, il cite quatre ouvrages à paraître en août chez Laffont - un peu plus de la moitié de sa production française. Ceux de Gwenaële Robert, Christine Barthe, Jérôme Attal et Yasmine Ghata. Il est vrai que la rentrée des Editions Finitude est citée à 100% (pour l'unique parution du mois d'août, le roman de Laurent Seyer). Que d'autres maisons sont citées: Fayard (Aurélie Filippetti, Grace Ly, Jean-Marc Parisis, Bruce Bégout), Grasset (Michela Marzano, Pierre Guyotat, Jean-Yves Jouannais), Actes Sud (Thierry Froger, Jérôme Ferrari, Nancy Huston), Plon (Alexandre Najjar), Gallimard (Christian Bobin), Julliard (Yasmina Khadra), Rivages (Jérémy Fel).
Je n'ai pas calculé la proportion de livres cités pour chaque maison. Mais la surreprésentation de Laffont m'a frappé par son caractère très inhabituel.
Faut-il y voir le signe de quelque chose qui se traduirait bientôt dans les sélections et les proclamations de lauréat(e)s? Il faudrait être bien imprudent pour en jurer. Mais disons que cela frémit, et il serait tout aussi imprudent de ne pas en prendre note. C'est fait.
Avant de vous laisser pour aujourd'hui (sauf actualité brûlante et peu probable), il faut signaler aussi, ce n'est pas tout à fait insignifiant, que l'article de Pierre Assouline nous arrive par la bande, d'un pays francophone qui n'est pas la France, d'une capitale qui n'est pas Paris. Il est paru dans L'Orient littéraire, le supplément mensuel de L'Orient-Le Jour, publié à Beyrouth. L'occasion rêvée, pour Pierre Assouline, de rompre une lance contre les frontières de l'esprit qui séparent encore trop souvent les littératures française et francophones:
Et puis quoi ! Il serait temps de cesser de parler de « rentrée littéraire française », si étroitement parisienne dans son esprit, pour parler une fois pour toutes de « rentrée littéraire de langue française ». Ce qui a la vertu d’élargir le champ aux auteurs suisses, belges, québécois, maghrébins, africains, libanais… Les Anglais ont depuis longtemps agi ainsi en encourageant la publication en anglais d’une littérature du Commonwealth, égale à la leur dans la course aux prix. Il ne suffit pas de répéter que la langue dans laquelle il est écrit est la vraie patrie d’un écrivain quel que soit son passeport. Encore faut-il traduire cette noble pensée en actes. Ce sera le cas lorsque les organisateurs de salons du livre cesseront de faire débattre entre eux des écrivains dits francophones. Voudrait-on les ghettoïser que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Lorsqu’il en sera autrement, et qu’on aura abattu les murs et les frontières, la moindre des choses puisque le roman est par excellence le lieu de la liberté de l’esprit, alors seulement on pourra célébrer comme il se doit l’incontestable apport de lexiques et d’imaginaires venus d’ailleurs, de très loin parfois, pour irriguer souterrainement et enrichir irrésistiblement la littérature dite française. On en perçoit les effets depuis des années déjà. Pas une rentrée qui n’y échappe.
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