Ils passent dans
l’actualité ou dans l’Histoire, puis se retrouvent dans des romans. Mention
spéciale au président français nouvellement élu, François Hollande. Laurent
Binet a suivi toute sa campagne pour constater que Rien ne se passe comme prévu (Grasset). Mais son livre sera, en
pleine rentrée romanesque, hors catégorie puisqu’il est un récit proche du
réel, bien que subjectif.
Quand la fiction s’empare
d’un fait divers, elle impose aussi la subjectivité de l’auteur, plus libre que
s’il racontait en journaliste. De l’affaire DSK, Stéphane Zagdanski reste
proche tout en faisant travailler son imagination pour un Chaos brûlant (Seuil). Dans la tête de DSK, on lit ceci : « Au fond de lui, il a toujours été
persuadé que ses désirs sont des ordres intimés au Destin, que tout ce qu’il
imagine est susceptible de s’incarner à l’instant devant lui. » Et on
lira d’autres choses, évidemment, dans la tête de Nafissatou Diallo.
Myriam Thibault évite de
nommer Patrick Poivre d’Arvor. Mais son personnage d’écrivain (Plagiat, Léo Scheer) s’est empêtré,
comme le modèle auquel on pense, dans une affaire aussi maladroite que sordide.
Après le départ de sa femme, il écrit un livre en utilisant les lettres que
celle-ci lui a écrites…
De manière identique, le
Pascal Ertanger imaginé par Aurélien Bellanger (La théorie de l’information, Gallimard) n’est pas tout à fait
Xavier Niel, le flamboyant dirigeant d’entreprise français qui a fondé Free et
investi dans Le Monde après avoir
assis sa fortune sur le minitel rose. D’ailleurs, Xavier Niel est né le 25 août
1967 et Pascal Ertanger, le 20 novembre de la même année.
Quant à « la
Blonde » qui paraît souvent sur des affiches électorales dans le roman
d’Olivier Adam (Les lisières,
Flammarion), elle a les cheveux, le visage et surtout l’idéologie de Marine Le
Pen.
Dans Les Patriarches (Grasset), Anne Berest n’introduit qu’aux deux
tiers du livre le nom de Lucien Engelmajer, le fondateur de l’association le
Patriarche, censée aider les toxicomanes mais dont le fonctionnement
l’apparentait surtout à une secte. La romancière ne veut pas juger, elle pose « le décor d’une histoire ».
Où il est aussi question de viol.
Un homme célèbre peut
être Un héros (Grasset) aux yeux du
monde et le destructeur de sa famille. Félicité Herzog règle ses comptes avec
Maurice, son père, alpiniste vainqueur de l’Annapurna et ministre. Mais
souffrant d’un « donjuanisme
compulsif » et en qui « quelque
chose n’était pas vrai ».
Nous avons commencé à
remonter le temps. Continuons. Le camarade Mao Zedong distribue volontiers ses
poèmes dans Dîner de gala, par
Philippe Videlier (Gallimard), mais il s’occupe au moins autant de guerre,
comme le laisse entendre le sous-titre : L’étonnante aventure des Brigands Justiciers de l’Empire du Milieu.
Ernesto Guevara, mieux
connu sous le nom de Che Guevara, s’avance à peine masqué dans le roman de
Jean-Michel Guenassia, La vie rêvée
d’Ernesto G. (Albin Michel), sans en être vraiment le personnage principal.
Quant à Alban Lefranc, il
annonce la couleur dans le titre, Fassbinder :
La mort en fanfare (Rivages). Derrière lequel on trouvera un portrait
halluciné.
L’occupation de la France
par l’Allemagne est le cadre du roman de Nicolas d’Estienne d’Orves (Les fidélités successives, Albin
Michel). Puisqu’il insiste sur la manière dont Guillaume Berkeley vit la
collaboration du côté des intellectuels et des artistes, on en croise une
foultitude, de Lucien Rebatet à Pablo Picasso, de Louis-Ferdinand Céline à
Claude Roy…
A la même époque, plus
précisément en 1942, Marcel Duchamp est à Casablanca, comme le raconte Serge
Bramly (Orchidée fixe, Lattès) et
s’occupe à des activités que d’aucuns peuvent trouver futiles dans le contexte
de ces années-là : « C’est ça
qu’il faisait, Marcel Duchamp ? a lancé ma mère. Des petits urinoirs, des
calembours ? En pleine guerre ? »
Addi Bâ, resté en France
où il a vécu sa jeunesse puis participé à la guerre comme tirailleur, devient ensuite,
loin de sa Guinée natale, un résistant que Tierno Monénembo appelle, comme les
Allemands, Le terroriste noir
(Seuil). Exécuté le 18 décembre 1943, il est de ceux dont Senghor, cité en
épigraphe, écrivait : « Vous,
mes frères obscurs, personne ne vous nomme. » Sinon, maintenant, avec
le statut de personnage de roman.
Claude Eatherly sort lui
aussi de l’oubli grâce à Marc Durin-Valois (La
dernière nuit de Claude Eatherly, Plon). Il a pourtant eu son heure de
gloire : le 6 août 1945, en reconnaissance au-dessus d’Hiroshima, il a
guidé l’avion qui a lancé la bombe atomique sur la ville. Puis il sombre dans
la dépression quand – c’est là qu’intervient le romancier – Rose Calter le
rencontre en 1949.
Alexandre Yersin quitte
Paris avant l’arrivée des Allemands. Il mourra un peu plus tard en Indochine.
Ce disciple de Pasteur, découvreur du bacille de la peste bubonique (Yersinia pestis), est le héros du roman
de Patrick Deville (Peste & Choléra,
Seuil).
On se souvient mieux d’un
autre personnage dont s’empare Lilian Auzas : Riefenstahl (Léo Scheer), Leni de son prénom, cinéaste officielle
du nazisme et aussi bien d’autres choses : « Leni Riefenstahl avait été danseuse, actrice, réalisatrice,
productrice, photographe, plongeuse sous-marine », note le narrateur…
Beaucoup plus loin dans
le temps, voici Alexandre le Grand, à la fin de sa vie, considéré comme un
mythe par Alexandre Gaudé (Pour seul
cortège, Actes Sud). Ptolémée est son ami mais c’est une femme, Dryptéis,
qui reste à ses côtés.
Quant au roman le plus
riche en figures familières, il est belge – et c’est d’ailleurs pourquoi tout y
semble si familier. Patrick Roegiers consacre d’ailleurs vingt-cinq pages à un
index à la fin du Bonheur des Belges
(Grasset). On y rencontre, par l’intermédiaire d’un gamin qui a onze ans en
1958, année de l’Exposition universelle, des personnages qui traversent les
époques. Victor Hugo à Waterloo, la Malibran à la Monnaie, les quatre fils
Aymon sur leur cheval Bayard, Hendrik Conscience et Hugo Claus en vélo, Fons De
Vlaeminck (celui-là est imaginaire) au Tour des Flandres, le père Damien sur un
champ de bataille, Paul Verlaine aux grottes de Han, James Ensor à Ostende,
Pieter Bruegel devant ses tableaux. Entre autres. Entre beaucoup d’autres.
P.S. Ceci est la version longue d'un article paru hier dans Le Soir.
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