Il faut réussir les
dernières phrases d’un roman, comme le montre une récente réédition américaine
de L’adieu aux armes, un roman pour
lequel Ernest Hemingway avait écrit 47 fins différentes. Mais, jusqu’à nouvel
ordre, c’est par le début qu’un lecteur aborde l’ouvrage qu’il vient d’ouvrir. « Aujourd’hui, maman est morte »,
écrit sobrement Albert Camus en ouverture de L’étranger. Marcel Proust est à peine moins sobre dans Du côté de chez Swann, premier volume d’A la recherche du temps perdu : « Longtemps, je me suis couché de bonne
heure. » On notera au passage la similarité entre ces deux célèbres
incipit. Bien sûr, comme dans les pages suivantes, le roman est un genre qui
autorise toutes les libertés, dans cette rentrée comme dans le passé. Petit
inventaire, hors prologues et autres épigraphes.
Côté simplicité, Olivier
Adam (Les lisières,
Flammarion) : « Je me suis garé
sur le trottoir d’en face. » Ou Olivier Bouillère (Poivre, P.O.L.) : « Ici tout est tranquille. »
Claro (Tous les diamants du ciel,
Actes Sud) : « C’est tout autre
chose. » Leonardo Oyola (Chamané,
Asphalte) : « Ils ne commencent
jamais. » Fabrice Humbert (Avant
la chute, Le Passage) : « Ils
avaient travaillé dur. » Toni Morrison (Home, Christian Bourgois) : « Ils se sont dressés comme des hommes. » Florence
Noiville (L’attachement,
Stock) : « Combien suis-je ? »
Maria Pourchet (Avancer,
Gallimard) : « Un vigile, et
encore. » Pascal Quignard (Les
désarçonnés, Grasset) : « Il
vomissait du sang. » Nathalie Rheims (Laisser les cendres s’envoler, Léo Scheer) : « J’ai perdu ma mère. » Nick
Tosches (Réserve ta dernière danse pour
Satan, Allia) : « C’était
une grande époque, on l’aura compris. » Andrés Caicedo (Que viva la Musica !,
Belfond) : « Je suis
blonde. » Tristan Garcia (Les
cordelettes de Browser, Denoël) : « Lorsqu’il
sortit de la douche, rien n’avait changé. » Sebastian Barry (Du côté de Canaan, Joëlle
Losfeld) : « Bill n’est
plus. »
Certains en disent trop
et pas assez, pour attiser la curiosité, comme Jakuta Alikazovic (La blonde et le bunker,
L’Olivier) : « Dans les
publications, assez rares, qui en font mention, la collection Castiglioni est
souvent décrite comme éphémère. »
Metin Arditi (Prince d’orchestre,
Actes Sud) fait une promesse : « Ce
serait un triomphe. » Joël Glaziou (Ce fut une messe… en forme de corrida, Luce Wilquin), une
autre : « Sûr, ce jour-là
serait un grand jour pour Jesús. » Autre type de promesse, ou plutôt
de bonne résolution, pour Jean Mattern (Simon
Weber, Sabine Wespieser) : « Il
me reste à acquérir le sens de l’humour. »
Sylvia Avallone (Le lynx, Liana Levi) semble nouer déjà
quelques fils : « Ils se
rencontrèrent pour la première fois dans un restoroute, en pleine nuit. »
Tahar Ben Jelloun (Le bonheur conjugal,
Gallimard) pose des personnages, dont l’un au sens propre : « Les deux hommes solides qui l’avaient
porté puis déposé dans un fauteuil face à la mer étaient essoufflés. »
Aurélia Bonnal (The queen is dead,
Buchet-Chastel) aussi, avec un air de mystère : « Ils m’ont tapé dans le dos. » Véronique Olmi (Nous étions faits pour être heureux,
Albin Michel) : « Il est là, en
face de moi, place des Abbesses. »
Julie Otsuka (Certaines n’avaient jamais vu la mer,
Phébus) : « Sur le bateau nous
étions presque toutes vierges. »
L’effet d’annonce est
utilisé par Serge Joncour (L’amour sans
le faire, Flammarion) : « Il
voulait les prévenir avant de descendre. » Ou par Amélie Nothomb (Barbe bleue, Albin Michel) : « Quand Saturnine arriva au lieu du
rendez-vous, elle s'étonna qu'il y ait tant de monde. » Et encore par
Laurent Gaudé (Pour seul cortège, Actes Sud) : « Au premier spasme, personne ne
remarque rien et ceux qui l’entourent rient encore. »
Surprise chez Ron Rash (Le monde à l’endroit, Seuil) : « Travis tomba sur les pieds de
marijuana en pêchant dans Caney Creek. »
Mystère pour Sylvie
Taussig (Dans les plis sinueux des
vieilles capitales, Galaade) : « Cela
a commencé pendant la nuit : ce furent les premiers éléments, et personne
ne l’a remarqué. » Et François Vallejo (Métamorphoses, Viviane Hamy) : « Ma première réaction : non,
impossible, mon demi-frère n’est pas comme ça. »
Un peu aussi chez Stéphane Zagdanski (Chaos brûlant, Seuil) : « Je sais, je ne paye pas de mine,
assis en tailleur sur le sol de ma cellule. »
Menaçant pour Isabelle
Pestre (La rencontre, Belfond) :
« Le vélo ne tient pas sa
droite. »
Inquiétant chez Darin Strauss (La moitié d’une vie, Rivages) : « Il y a la moitié de ma vie, j’ai tué
une fille. »
Voyez Jean-Yves Jouannais (L’usage des ruines, Verticales) : « Il fallait qu’un jour le secret
cessât. »
Jean-Michel Guenassia (La vie rêvée d’Ernesto G., Albin Michel)
tire des fils qui viennent de loin : « Chez
les Kaplan de Prague, on était médecin de père en fils depuis une dizaine de
générations. »
Tout est parfois dans la
parole. Directe chez l’Italien Nicolo Ammaniti (Moi et toi, Laffont) : « – Café ? »
Chez François Cusset (A l’abri du déclin
du monde, P.O.L.) : « – Tous
à la Madeleine ! » Chez Benoît Damon (Trois visites à Charenton, Champ Vallon) : « Bonjour, Monsieur l’artiste !… »
Chez Joël Egloff (Libellules,
Buchet-Chastel) : « Est-ce que
t’en es sûr qu’on va revivre ? » Nicolas d’Estienne d’Orves (Les fidélités successives, Albin
Michel) : « – C'est votre
premier voyage à Malderney ? » Pierre Jourde (Le maréchal absolu, Gallimard) : « Allons, parle, Manfred-Célestin,
vieille pacotille, dis quelque chose, n'importe quoi, tu es plus disert
d'habitude. » Le narrateur de Linda Lê (Lame de fond, Bourgois) est tout de contraire : « Je n’ai jamais été bavard de mon
vivant. » Catherine Mavrikakis (Les
derniers jours de Smokey Nelson, Sabine Wespieser) : « Mais vas-tu avancer, putain de
Chinois !!! » Nicolas Rey (L’amour
est déclaré, Au diable vauvert) : « Salope,
j’ai fait. »
Description de la parole chez
Julien Capron (Trois fois le loyer,
Flammarion) : « Elle parle
d’elle. » Et son inverse chez Michael Ondaatje (La table des autres, L’Olivier) : « Elle se taisait. »
Claude Arnaud (Brèves saisons au paradis, Grasset)
propose un lieu précis, sans qu’il soit besoin de nommer la ville : « Tu longes en silence la Seine, à
l’abri d’une haie de peupliers, en vue du pont Royal. » Lorenzo Cecchi
(Nature morte aux papillons, Castor
astral) : « De la gare du Midi
je prends le 36 pour me rendre à l’université. »
Serge Bramly (Orchidée fixe, Lattès) ne le situe pas immédiatement :
« Il venait de Marseille, il allait
en Amérique. » Il y a du mouvement aussi chez Fabienne Juhel (Les oubliés de la lande,
Rouergue) : « Le voyageur
arriva épuisé aux portes du village. »
Lionel Duroy (L’hiver des hommes, Julliard) oui, mais
pour mieux égarer : « Jovo se
perd dans les faubourgs de Belgrade. »
Lilian Auzias (Riefenstahl, Léo Scheer) précise un
moment : « Une nuit d’été
étouffante. » François Bott (Avez-vous
l’adresse du paradis ?, Cherche midi) : « 7 novembre 2010. » Viola Di Grado (70 % acrylique 30 % laine, Seuil) : « Un jour, on était encore en décembre. »
Gérard Mordillat (Ce que savait Jennie,
Calmann-Lévy : « C’était un
dimanche de juillet de l’an 2000. »
Il s’agit aussi de donner
le ton d’une langue que l’on découvre d’emblée singulière chez Andréas Becker (L’Effrayable, La Différence) : « Dans les temps j’ai eu-t-été une
petite fille, une toute petite fillasse. »
Certains font un peu de
philosophie pratique à l’usage du quotidien. Jacques Braunstein (Loin du centre, NiL) : « J’arrive à l’âge où chaque jour je
m’invente un nouveau regret. » Maryse Condé (La vie sans fards, Lattès) s’interroge : « Pourquoi faut-il que toute tentative de se raconter aboutisse à
un fatras de demi-vérités ? » Alessandro Piperno (Inséparables, Liana Levi) semble
conclure en ouverture : « Se
fréquenter soi-même avec assiduité suffit pour comprendre que si les autres
nous ressemblent, alors il ne faut pas leur faire confiance. » Anne
Lenner (Ca va trop vite, Le
Dilettante) : « Soi-disant,
pour faire un bon livre, il faudrait être prêt à y laisser sa peau. »
Chloé Schmitt (Les affreux, Albin
Michel) : « L'accident, on
l'attend toujours de derrière, d’autre chose, on se méfie jamais trop de
soi-même. » Enrique Vila-Matas (Air
de Dylan, Christian Bourgois) : « Certains
entrent dans le théâtre de la vie très tard, mais quand ils le font, c’est
apparemment sans brides et ils vont directement jusqu’au bout de la pièce. »
Sur le ton de l’évidence, Florian Zeller (La
jouissance, Gallimard) : « L’histoire
commence là où toutes les histoires devraient finir : dans un lit. »
C'est un geste pour Manu Causse
(L’eau des rêves, Luce
Wilquin) : « Campé sur ses
jambes, penché en avant, l’homme lance sa faux. » Et pour Caroline De
Mulder (Nous les bêtes traquées,
Champ Vallon) : « Il s’est mis
à jeter de plus belle. » Pour José-Luis Peixoto (Livro, Grasset) : « La
mère posa le livre entre les mains de son fils. » Pour Françoise
Pirart (Sans nul espoir de vous revoir,
Luce Wilquin) : « Il ouvrit la
fenêtre et huma l’air frais d’avril. » Olivier Truc (Le dernier Lapon, Métailié) : « Aslak trébucha. » Patrick
Deville (Peste & Choléra,
Seuil) : « La vieille main
tavelée au pouce fendu écarte un voilage de pongé. »
P.S. Ceci est la version longue d'un article paru hier dans Le Soir.
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