Du noir et blanc à
l’arc-en-ciel, l’Afrique du Sud a fait du chemin. Non sans douleur, comme le
constate Peter Jacobs, de retour à Alfredville vingt ans après l’avoir quittée
pour étudier en Grande-Bretagne, ce qui lui avait permis d’échapper au service
militaire. Il est journaliste, il veut écrire un long article sur un meurtre
qui le touche de près : Désirée, sa cousine, a été assassinée. Le
coupable, désigné par la rumeur et quelques éléments de preuve, est aux
arrêts : chef de la police locale, il est noir, ancien de la branche
combattante de l’ANC et était le mari de la victime. Dans cette histoire, Peter
Jacobs trouve d’intéressantes similitudes avec Othello : un homme noir tue une femme blanche « dont il est l’époux, la fille d’un
personnage de haut rang de sa ville natale, lui-même étant fonctionnaire de
valeur ». Comme en écho, l’ex de Peter, acteur et noir lui aussi, est
engagé à Londres pour jouer un rôle dans une mise en scène d’Othello.
Sans se prendre pour
Shakespeare, le journaliste est convaincu de tenir un sujet dont il devrait
tirer un bon article, susceptible d’intéresser le New Yorker. D’autant plus qu’il a son idée sur la mise en
perspective du fait divers : il veut comprendre « l’incidence possible de la politique dans des situations humaines
dramatiques ». Sa théorie est au point et il ne cherche, en réalité,
qu’à l'enrichir d’anecdotes pour la renforcer. La vieille animosité entre Noirs
et Blancs, nourrie par le régime d’apartheid, fonctionnerait donc encore pour
expliquer le meurtre et, au-delà de celui-ci, l’opinion publique. Mais la
théorie ne tient que si le mari de Désirée est vraiment coupable. Et un
faisceau de révélations, reçues par Peter de différentes personnes, à condition
qu’il ne s’en serve pas mais qu’il juge quand même la situation en fonction de
ce qu’il apprend, modifie considérablement la donne.
D’une enquête
sociologique, et sans l’abandonner vraiment, Peter bascule vers une véritable
enquête policière, au terme de laquelle il croira trouver l’assassin de sa
cousine – avant de devoir remettre ses certitudes en question. Il n’aura
d’ailleurs fait que cela au cours d’un séjour teinté d’une nostalgie qu’il se
refuse. Influencé par l’ironie qui règne dans les milieux culturels
britanniques, il a tendance à tout mettre à distance. Mais ce qu’il a vécu dans
son passé le rattrape et il prend des coups quand il constate la persistance
des clichés anciens dans la société d’aujourd’hui. Quand, dans le même temps,
il ressent à nouveau son attirance d’autrefois pour son meilleur ami, une
attirance mêlée cependant de gêne parce qu’ils ont suivi des chemins si
différents qu’ils devaient bien conduire à les éloigner.
Un passé en noir et blanc, cinquième roman de
Michiel Heyns – le quatrième traduit en français – expose de manière très fine
les contradictions d’un pays qui n’est pas passé du pire au meilleur. Un bon
exemple de ces contradictions se trouve dans la réponse faite par une
thérapeute, ancienne militante de l’ANC, quand on lui a demandé si elle est contente
d’avoir Zuma à la présidence : « Alors
j’ai dit que je n’étais pas particulièrement contente d’avoir Zuma pour
président, mais que, oui, je m’étais battue pour le droit du peuple à choisir
son dirigeant. »
Tout est là, ou presque.
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