La Société des Gens de Lettres a attribué, cette semaine, ses prix de printemps, qui seront remis aux lauréats le 18 juin. La liste est impressionnante, il en est sur lesquels je voudrais attirer l'attention. En commençant par le Grand Prix SGDL de littérature pour l'ensemble de l'oeuvre, qui couronne Chantal Thomas à l'occasion de la publication, l'année dernière, de L'échange des princesses.
Il y a, dans le titre du
nouveau roman de Chantal Thomas, L’échange
des princesses, le vague écho d’un échange de prisonniers. L’écho devient
assourdissant le 9 janvier 1722, sur l’île des Faisans, entre les rives de la
Bidassoa, c’est-à-dire à la frontière entre la France et l’Espagne. On y a
construit un pavillon dont le salon est divisé par une ligne symbolisant la
frontière. Les princesses s’avancent l’une vers l’autre : « Elles vont traverser la ligne, se retrouver
l’une en Espagne, l’autre en France, coupées de leurs origines, séparées de
leurs servantes et dames d’accompagnement, coupées de tout ce qui pourrait les
rattacher à leurs parents, pure princesse française, pure princesse espagnole.
Sur l’autre rive une vie nouvelle les attend. Leur passé est un pays étranger. »
Trois ans plus tard, la même scène se reproduira, en sens inverse et sans
cérémonial. Le roman s’achève et avec lui l’histoire d’un échec mis en scène
avec précision et sensibilité par la romancière.
Chantal Thomas,
chercheuse, essayiste, s’est mise tard au roman. Les adieux à la Reine, prix Femina 2002, coup de maître prolongé au
cinéma, semblent l’avoir mise en appétit de fiction. Tant mieux. Elle connaît,
bien sûr, le 18e siècle par cœur. Mais pas seulement comme une
historienne : comme si elle l’avait vécu de l’intérieur et s’autorisait,
forte de cette expérience, à l’interpréter à travers ses personnages.
Les princesses qui sont,
en miroir – un miroir qui ne renverrait pas l’image exacte de ce qui s’y
reflète –, les deux protagonistes de son roman sont jeunes. Très jeunes, à
faire peur quand on comprend ce qui se joue à travers elles. Anna Maria
Victoria de Bourbon n’a pas quatre ans quand, venant d’Espagne, elle franchit
la Bidassoa. Louise-Elisabeth d’Orléans, qui va à sa rencontre, en a douze.
Elles sont promises, la première à Louis XV, douze ans (il sera majeur à treize
ans), la seconde à Don Luis, futur et bref Louis Ier, roi d’Espagne
pendant sept mois et demi, quatorze ans. Les deux unions sont destinées à
rapprocher des pays qui, il n’y a pas si longtemps, s’affrontaient, bien que
les régnants y soient issus d’une lignée commune…
Cela part de bons
sentiments. La paix, après tout, ne vaut-elle pas mieux qu’une autre
guerre ? Et que pèsent deux princesses dans les grands desseins de
l’Histoire ? Cette Histoire que tutoie le duc de Saint-Simon, mémorialiste
de son temps et devenu pour l’occasion, le temps de régler les menus détails
qui pourraient faire capoter ce montage politico-sentimental (très politique et
peu sentimental, encore que…), ambassadeur extraordinaire envoyé en Espagne par
le Régent. « L’âge des fiancés ne
surprend pas Saint-Simon. Comme les auteurs du pacte, il n’y attache pas une
seule pensée. »
Le peuple de Paris et de
France, pendant ce temps, se passionne davantage pour l’arrestation du célèbre
bandit Cartouche, auréolé de son audace peu commune et promis à un châtiment
exemplaire dont on se repaît par avance. « Que
sont les réjouissances qu’apporteront les mariages espagnols, que sont-elles
comparées à la secousse procurée par le supplice d’un pareil criminel ?
Des jeux d’enfants à côté du sang qui coule. »
Et puis, les choses ne
tournent pas comme prévu. En France, Louis se lasse de sa fiancée. En Espagne,
Louise-Elisabeth se comporte d’effrayante manière aux yeux d’une famille royale
qui découvre de quelle espèce de garce on leur a fait cadeau. Quand tout
s’achèvera, les cadeaux renvoyés à leurs donateurs, ce sera « la reine douairière d’Espagne contre
l’infante-reine de France, une demi-folle contre une enfant déchue. »
Le fameux montage politico-sentimental si brillant a donc fini par capoter malgré toutes les précautions. De cet échec retentissant, Chantal Thomas fait un roman vibrant, nourri pour partie de lettres inédites et pour une autre partie d’une intuition romanesque grâce à laquelle tout sonne juste, sans que la documentation ne pèse un instant.
Le fameux montage politico-sentimental si brillant a donc fini par capoter malgré toutes les précautions. De cet échec retentissant, Chantal Thomas fait un roman vibrant, nourri pour partie de lettres inédites et pour une autre partie d’une intuition romanesque grâce à laquelle tout sonne juste, sans que la documentation ne pèse un instant.
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