Maylis de Kerangal cisèle les
détails tout en ouvrant de larges perspectives. Ce double regard, ouvert et
précis, lui avait réussi dans Naissance
d’un pont, son précédent roman, Prix Médicis 2010. Elle affine encore son
travail dans Réparer les vivants, qui
paru en janvier. Et qui lui vaut, attribué hier, remis officiellement demain, le premier Prix du Roman des étudiants organisé conjointement par France Culture et Télérama.
J'ajoute que le Prix RTL/Lire est aussi pour elle, information de ce lundi 17 mars...Et, le 27 mai, on n'en finit pas, elle a reçu le Prix Orange, toujours pour le même roman.
Le texte est servi par une
magnifique écriture, d’une rare souplesse, sinuant en phrases souvent longues
qui se balancent en rythme et fournissent, dans le même temps, les multiples
informations nécessaires pour suivre le récit, dense bien que d’une durée
limitée – moins de vingt-quatre heures. La matière est technique et plus
complexe encore que les calculs d’ingénieurs ou de chefs de travaux occupés à
couler le béton d’un pont, à lui assurer son assise, sa résistance et sa
flexibilité. Car il est question ici, comme l’annonce le titre, d’un matériau
vivant : le corps humain et ce qui lui assure, au moins pour partie, la
vie, c’est-à-dire le cœur, pompe résistante et pourtant sujette aux accidents
en même temps que siège symbolique des sentiments.
Le cœur de Simon Limbres est présent
dès la première phrase. Un cœur de jeune sportif, battant au ralenti au repos,
accélérant quand il le faut. Un cœur fait pour durer et qui accomplit, ce
matin-là, ses fonctions sur les vagues où Simon, avec deux amis, est allé
surfer. Sa grande passion du moment, peut-être liée au fait que son père, Sean,
construit un tas d’objets flottants. Sean vient de Nouvelle-Zélande et le
tatouage maori qu’arbore Simon n’est pas sans rapports avec des origines dont
il semble vouloir s’approcher. Mais nous n’aurons pas la réponse à toutes les
questions posées par la vie de Simon, car voici qu’elle s’interrompt quand le
van dans lequel il rentre avec ses amis s’encastre dans un poteau.
Pierre Révol entre en scène, il est
réanimateur à l’hôpital le plus proche et prend Simon en charge. Sans
espoir : le cœur bat mais l’encéphalogramme est plat. Le jeune homme est
entré en coma dépassé et, selon la redéfinition de la mort faite en 1959,
l’année de naissance du médecin, « l’arrêt
du cœur n’est plus le signe de la mort, c’est désormais l’abolition des
fonctions cérébrales qui l’atteste. » Une révolution qui modifie la
donne et ouvre la voie aux greffes d’organes. Donneur sain, Simon est un sujet
d’exception dont plusieurs organes peuvent être proposés à des patients
compatibles.
Le ballet de la médecine de pointe
est sur le point de démarrer – mais seulement quand les parents de Simon
l’auront accepté. Le temps disponible est limité, pas question de prendre
plusieurs jours de réflexion. Thomas Rémige, coordinateur des prélèvements et
chanteur à ses heures, refuse pourtant de les bousculer, il expose les faits à
Marianne et Sean sans tenter d’infléchir leur décision…
Le roman de Maylis de Kerangal mêle intimement
les questions médicales au bouleversement émotionnel lié à la mort d’un fils,
une mort d’autant plus difficile à accepter que le cœur, oui, ce cœur bat
toujours. Les deux niveaux de récit se croisent sans cesse, parfois se
superposent, indissolublement liés autour du corps et de la personnalité de
Simon. Chacun des êtres qui gravitent autour de lui possède en outre sa
biographie, envisagée par bribes assez explicites pour lui donner de
l’épaisseur. Les détails s’inscrivent avec force dans le paysage global qui
n’est jamais perdu de vue. Et Réparer les
vivants est un livre qui saisit d’emblée au… cœur, pour ne plus vous
lâcher.
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