Cette année-là, 1966,
devait surtout être, pour Anne Wiazemsky, 19 ans, l’année du bac. Elle avait
échoué en partie et devait passer, en septembre, un oral de rattrapage.
L’affaire était prise très au sérieux dans une famille où manquait le père,
décédé, et sur laquelle régnait la grande figure, si grande qu’elle en devenait
un peu effrayante, de « bon-papa », François Mauriac.
L’année précédente, Anne
a réussi, malgré tout, à tourner dans un film. Elle rêvait d’être actrice,
c’est fait. Au hasard Balthazar, de
Robert Bresson, où elle fait sa première apparition à l’écran, est même un
événement. Roger Stéphane, qui l’a beaucoup aimé, lui consacre toute un numéro
de Pour le plaisir, son émission de
l’ORTF. Plusieurs cinéastes y témoignent de leur enthousiasme. Parmi eux,
Marguerite Duras, Louis Malle ou… Jean-Luc Godard. Entre la jeune actrice et le
cinéaste qui a déjà réalisé une quinzaine de films, il s’agit de la troisième
rencontre, brève et aussi manquée que les deux précédentes : elle descend
un escalier et se cogne contre lui, qui le monte. « Crétin ! Imbécile ! Idiot » crie-t-elle,
avant de voir de qui il s’agit.
Elle a beaucoup aimé Pierrot le fou et Masculin féminin, il l’a remarquée depuis un an, avant même de passer
sur le tournage d’Au hasard Balthazar.
Dix-sept ans les séparent. Il a récemment divorcé d’Anna Karina. On lui prête
une liaison avec Marina Vlady. Il a tout pour effrayer Anne qui lui écrit
pourtant, sur les conseils d’un ami. Celui-ci lui a dit : « C’est un homme très seul, vous
savez. » Contre toutes les apparences…
Leur première véritable
rencontre est un étourdissement partagé. Il lui offre des quatuors de Mozart, Nadja, d’André Breton. Elle est sous le
charme. Lui aussi, et depuis plus longtemps, lui explique-t-il, depuis qu’il a
vu dans Le Figaro une photo du
tournage de Balthazar : « Je suis tombé amoureux de la jeune
fille de la photo. » Il est cultivé, drôle, il veut conquérir Anne et
elle cède volontiers.
Trente-cinq ans plus
tard, le roman autobiographique où elle raconte cette Année studieuse restitue l’allure virevoltante sur laquelle elle se
déroule. Car les choses vont vite. Il faut quand même le réussir, ce bac – ce
sera fait, en partie grâce à Francis Jeanson qu’Anne a rencontré lors d’un
cocktail chez Gallimard, qui devient un ami puis, avec sa femme, les amis du
couple. Francis Jeanson trouvera sa place dans le film qu’Anne tournera sous la
direction de Godard, La Chinoise. A
le voir aujourd’hui, il s’agit d’ailleurs à peu près de la seule scène
intelligible. Le reste trempe dans les prémisses de mai 68. La faculté de
Nanterre, où Anne s’est inscrite, s’emplit de discours sérieux et définitifs
basés sur le vrai communisme, celui du Petit
livre rouge de Mao. Sur le campus, on croise (dans le roman, pas dans le
film) un étudiant rigolard et dragueur qui revendique la compagnie d’Anne en
vertu de la solidarité des roux – il deviendra plus célèbre en 1968…
En juillet 1967, ils se
marient en secret et en Suisse. Après la brève cérémonie et un verre de vin
blanc au café le plus proche le maire leur dit au revoir : « A la prochaine, monsieur
Godard ! » La phrase les amusera pendant des semaines. Peu de
temps après, le Festival d’Avignon accueille une projection de La Chinoise, précédée d’une mémorable
conférence de presse lors de laquelle Jean Vilar parle sans cesse de La Tonkinoise.
On rit beaucoup avec Anne Wiazemsky et Jean-Luc
Godard. On oublie aussi leur différence d’âge : ce sont deux enfants qui
s’ébrouent, heureux de vivre et de s’aimer.
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