Certes, Georges Lautner est mort mais Les tontons flingueurs sont toujours là.
Il existe, un peu partout dans le monde francophone, une
sorte de secte informelle dont les membres, quand ils se rencontrent, se
lancent à la tête des répliques comme : « Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît. »
Ou : « Dis donc, t’essaierais
pas de nous faire porter le chapeau, des fois ? Faut le dire tout de
suite, hein. Il faut dire : Monsieur Raoul vous avez buté Henri, vous avez
buté les deux autres mecs ; vous avez peut être aussi buté le Mexicain,
puis aussi l’archiduc d’Autriche ! » Ou encore : « On demande monsieur au téléphone. Un
appel de Montauban. L’interlocuteur me semble, comment dirais-je, un peu
rustique. Le genre agricole. » Et des dizaines d’autres, signées
Michel Audiard aux dialogues d’après un roman d’Albert Simonin, mises par
Georges Lautner dans la bouche de Lino Ventura, Bernard Blier ou Robert Dalban.
Avec aussi, dans une distribution magique bien qu’en noir et blanc, Jean
Lefebvre, Francis Blanche, Claude Rich…
Les tontons flingueurs,
puisque c’est de ce film qu’il s’agit, sont devenus une œuvre mythique d’un
cinéma français dont les têtes pensantes privilégiaient pourtant, à l’époque de
sa sortie, une Nouvelle Vague portée par une critique unanime. Du coup, Les tontons flingueurs n’ont pas
recueilli, en salles, le succès qu’on aurait pu leur prédire : moins d’un
demi-million d’entrées en salles à Paris et sa périphérie en six mois d’exploitation.
En revanche, depuis, leur carrière ne s’est jamais arrêtée, le DVD est une
excellente vente et chaque passage à la télévision attire des téléspectateurs
qui feraient une foule énorme si cela ne se déroulait pas dans l’intimité des
foyers.
Pourtant, impossible de dire le contraire, le film a
considérablement vieilli. L’argot des voyous nous est devenu presque
incompréhensible, le noir et blanc est rédhibitoire pour bien des générations
et l’intrigue est légère. D’où vient donc l’appartenance des Tontons flingueurs au cercle très
restreint des films indémodables ? Du talent, voire du génie d’un
réalisateur populaire, Georges Lautner, avec la collaboration de Michel
Audiard, un dialoguiste capable de ciseler des phrases comme aucun être
normalement constitué n’en concevrait mais qui frappent, touchent leur cible,
créent un climat souvent étrange dans un monde décalé où chaque mot fait sens.
Certaines scènes méritent leur place dans des anthologies du
cinéma. Au premier rang de celles-ci, la réunion des malfrats dans la cuisine,
tandis que la nièce du patron fait, dans le reste de la maison, la bringue avec
des amis de son âge. On sort une grosse bouteille d’alcool – bouteille
historique : la fabrication de cette boisson de contrebande a été arrêtée
parce que trop de buveurs étaient devenus aveugles (du « vitriol »,
dit même quelqu’un). Comme l’ambiance est à la bagarre, certains se demandent s’il
ne s’agit pas de les empoisonner. On s’observe, on regarde les verres d’un air
suspicieux, et quand même on boit. Et on re-boit. Et on re-re-boit. Si bien que
la conversation, sans perdre de son pétillement permanent, devient de plus en
plus vaseuse, que les corps vacillent, jusqu’au grand coup de colère du patron
qui vire tous les fêtards à côté.
Cette autre scène : la nièce, amoureuse d’un musicien,
fait venir le père de celui-ci au plus mauvais moment. La maison est attaquée
par une bande rivale, et cela flingue dans tous les sens. Le père, personnage
très correct et vice-président du FMI, ne se rend compte de rien, ou presque
rien, grâce à de véritables entrechats entre les balles et leurs conséquences,
grâce à la toux bruyante avec laquelle le patron tente de couvrir les coups de
feu.
On rit beaucoup et souvent devant ce film vieux de cinquante
ans. On en reprendrait volontiers pour cinquante années supplémentaires !
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