Encore Charles Bukowski ? N’en avions-nous pas assez, de ses
délires alcoolisés, de sa folie pas si ordinaire qu’il le prétend, de ses Souvenirs d’un pas grand-chose ?
Une œuvre revendiquant à ce point l’abjection peut-elle éviter la répétition
qui, il faut le reconnaître, avait fini par engendrer une certaine lassitude
chez certains lecteurs dont nous étions ? La publication d’inédits, Le retour du vieux dégueulasse, n’avait
donc pas provoqué de grands cris de joie. Elle laissait prévoir une sorte de
punition à l’idée d’en reprendre pour plus de trois cents pages alcoolisées et
folles. Pas grand-chose, en fait…
Et puis, pas du tout. Si l’on osait le mot, il y aurait même ici
une certaine fraîcheur. Paradoxale, certes, dans un livre empli de vomissures,
au sens propre. Un exemple, en passant (et pour s’en débarrasser), histoire de
ne pas essayer de faire croire que Bukowski, quand il écrivait cela, était tout
à coup devenu un homme confit de bonnes manières : « La pissotière était infréquentable. A peine en entrouvriez-vous
la porte que vous étiez saisi à la gorge par les relents pestilentiels d’un
siècle de vomi et de pisse. » Il lui était décidément impossible de
changer.
Tant mieux, au fond. Car la poésie se niche parfois là où l’on
pense n’avoir aucune chance de la trouver. Cet ensemble de chroniques, publiées
dans différents journaux underground, dégage à la fois l’odeur déjà décrite et
un charme irrésistible. Dès le début, un entretien avec un éditeur artisanal
montre ce qu’est la littérature pour ce fou : une quête d’absolu qui
englobe tout de la vie et conduit celle-ci vers des situations extrêmes dont se
nourrira l’écriture, cette chienne exigeante qui donne au réel d’étranges
couleurs.
Certains textes sont de formidables nouvelles, peut-être
inspirées d’expériences personnelles. Mais on s’intéresse moins au rapport
entre les faits et l’histoire racontée par Bukowski qu’au jeu subtil instauré
dans ce qui les sépare ou les rapproche. Dans la dernière partie, une
cinquantaine de pages pour un seul récit, l’ouverture ne laisse aucune place au
doute : « Avant de commencer,
laissez-moi vous avertir que rien n’est vrai dans ce qui suit puisqu’il s’agit
d’une fiction. » Steve Cosmos, rencontré à Paris, réputé pour son
excentricité, est aussi recherché par la police pour escroquerie et « une chiée de méfaits de moindre
importance ». Il est, curieusement, un très mauvais parieur sur les
hippodromes où il retrouve souvent le narrateur, un « je » foutrement
semblable à Buk, et s’embourbe dans des problèmes d’argent insensés qui
provoquent des rebondissements surprenants. Et beaucoup d’ennuis dans lesquels
l’écrivain finit par avouer qu’il s’est contenté de les puiser dans sa propre
vie : « je me dis que je
pourrais commencer par lui donner l’allure d’une fiction avant d’avouer au beau
milieu que tout est vrai là-dedans. »
Bref, c’est dégueulasse comme promis. Et tout aussi épatant.
Bref, c’est dégueulasse comme promis. Et tout aussi épatant.
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