dimanche 18 octobre 2015

Sortir de la guerre et se débarrasser de ses démons

Les grands romans ont beau avoir pris, sous l’impulsion de leurs auteurs, les formes les plus diverses, ils posent presque tous les questions fondamentales qui nous taraudent sur la nature humaine. Ils se gardent bien s’y répondre mais placent la lectrice ou le lecteur en face de quelqu’un qui pourrait être son double, plus souvent effrayant que rassurant. Renforçant par conséquent le malaise qui naît à chaque instant de nos faiblesses, si semblables à celles des personnages que nous côtoyons. Antoine Varenne a écrit un roman de ce genre, lorgnant du côté de Conrad, Kipling ou Stevenson – des noms cités en quatrième de couverture et, c’est si rare qu’il faut le signaler, très pertinents. Quand l’aventure qui fait vibrer la surface des choses rejoint en profondeur les grands combats entre le bien et le mal, cela peut donner Trois mille chevaux vapeur.
En Birmanie, Arthur Bowman est désigné pour une mission si secrète qu’il n’en connaît guère les objectifs. Et que, au moment où il croira avoir tout compris, il découvrira autre chose. Nous sommes en 1852, la Compagnie des Indes orientales règne sur le commerce grâce à l’appui d’une armée qui est moins au service d’un pays que de ses négociants. Dans cette armée, le sergent Bowman est une tête dure, le type qui ne craint rien pour se faire obéir et est prêt à aller encore beaucoup plus loin pour atteindre le seul but vraiment fondamental : survivre.
« Survivre », c’est le mot que Bowman trouvera en 1858 inscrit, en lettres de sang, dans un égout londonien, à côté d’un cadavre dont les blessures lui rappellent cruellement ce qu’il a vécu en Birmanie. Et que les cicatrices couturant son torse ne lui permettent pas d’oublier. C’est comme un cauchemar qui recommence. Il n’avait jamais vraiment cessé, bien entendu. La dizaine d’hommes qui ont survécu à la mystérieuse mission, et dont il ne sait ce qu’ils sont devenus, doivent avoir vécu leur retour à la vie civile avec des difficultés du même genre. Son cas est réglé : dans la police où il travaille, il passe pour fou et dangereux. Donc capable d’avoir commis le crime. Puisque ce n’est pas lui, c’est un des autres, dans le délire de ce qu’on n’appelait pas encore, à l’époque, un syndrome de stress post-traumatique. Bowman ne prouvera son innocence qu’en trouvant le coupable.
La route est longue, elle le conduira aux Etats-Unis où ont émigré deux, peut-être trois membres de la mission. La chasse est passionnante, pleine de surprises, elle révèle l’état de deux pays au milieu du 19e siècle et comment la société y fonctionne : plutôt mal et pas autrement, en fait, qu’à l’époque de la Compagnie des Indes orientales. C’est-à-dire par l’exploitation du plus grand nombre au profit de quelques privilégiés.
La route est surtout le reflet d’une évolution personnelle qui fait progressivement de Bowman un homme différent. Celui qui menait ses troupes avec fermeté, voire brutalité, se met à lire Thoreau et son cheval s’appelle Walden. Une femme l’a aidé à chasser quelques-uns de ses démons les plus agressifs.

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