Martin Amis, né en 1949,
n’a plus l’âge d’être appelé l’enfant terrible de la littérature britannique.
Mais il rue encore dans les brancards et le prouve dans Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre où le personnage du titre, s’il
ressemble à l’état dans lequel se trouve son pays, n’en donne pas un portrait
flatteur. Il le prouve doublement avec un nouveau manuscrit qui est loin de faire l'unanimité et a même été refusé par quelques-uns de ses éditeurs traditionnels. Mais restons-en au roman qui est réédité au format de poche.
Lionel Asbo, 21 ans en
2006, est un voyou à l’état pur, une sorte de diamant noir posé à Diston pour
rayonner sur une cité où règnent la violence, la crasse, la maladie, l’inceste
– on en passe. Lionel Asbo est le coq sur ce tas de fumier. Sa morale
personnelle lui impose d’être plus dur et plus méchant que tout le monde,
d’avoir la paire de pitbulls les plus furieux. Et de se foutre de tout le
reste. Sauf peut-être de son neveu Desmond Pepperdine, 15 ans, dont il s’occupe
depuis que sa mère est morte. Lionel entend, évidemment, en faire un homme dans
son genre. Un homme, quoi. Et pas une fiotte qui se réfugierait dans ses bras à
la moindre contrariété. D’ailleurs, pour se réfugier dans des bras, Desmond
peut aller voir sa Mamie, la mère de Lionel, 39 ans, presque déglinguée. Pas
assez cependant pour ne pas être attirée par son petit-fils métis qui ne se
contentera pas de câlins. La culpabilité de cette liaison interdite poursuivra
Desmond jusqu’à la mort de sa grand-mère. Et pèsera sur la fin du roman comme
la menace d’une condamnation qui devrait le rattraper, un jour ou l’autre.
Quant à suivre la voie
tracée par son oncle, il n’en est pas question. Au moment, par exemple, de
passer son permis de conduire, Desmond oublie consciencieusement tous les
conseils de son oncle : « dépasser
dès que tu peux, jamais s’arrêter aux passages piétons, passer systématiquement
à l’orange ». Et réussit du premier coup. Ce sera sa ligne de
conduite : « Lionel
parlait ; Des écoutait et faisait le contraire. » Grâce à quoi il
ne s’en sortira pas si mal, engagé comme journaliste pour s’occuper des faits
divers. Une trahison aux yeux de son oncle, toujours fermement campé du mauvais
côté de la ligne rouge avec les conséquences prévisibles : des séjours
fréquents en prison.
Lors d’un de ces séjours,
Lionel apprend qu’il a gagné une somme pharamineuse au loto. Sa vie change,
bien sûr. Il entre dans le monde des riches, ce monde où « tout pèse. Parce que c’est construit pour durer. Longtemps…
Alors que mon monde à moi, Diston, c’était… il est… il est léger ! Rien
pèse ! Les gens meurent ! » La journaliste à qui il explique
cela n’en retire qu’une impression : « les
signes extérieurs de richesse, dans le cas d’Asbo, ne sont qu’un rappel
constant de sa nullité. » La journaliste ne peut pas comprendre que
Lionel n’a surtout pas voulu changer. A tel point que les tabloïds, relatant
ses premières semaines de nouveau riche, égrènent encore des faits
divers : bagarres et violences diverses restent son menu quotidien.
Desmond regarde tout cela
avec circonspection mais il lui est impossible d’échapper totalement à son
oncle. Et leurs trajectoires, aussi divergentes que possible, ne cessent de se
croiser, plus souvent pour le pire que pour le meilleur.
Le treizième roman de Martin Amis reproduit
souvent, dans sa structure, les errements de la pensée (?) de Lionel. Cela lui
donne un air de sauvagerie qui lui va bien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire